Travail sans salaire ? Regard critique sur les contrats de recherche et les vécus des chercheurs locaux en RDC

Travail sans salaire ? Regard critique sur les contrats de recherche et les vécus des chercheurs locaux en RDC

17 Octobre, 2019
Par Elisée Cirhuza, Irène Bahati, Thamani Précieux et An Ansoms

Actuellement, un grand débat sur la décolonisation des savoirs sur l’Afrique est en cours. Les discours plaident en faveur d’une meilleure visibilité des assistants de recherche basés dans le Sud, une meilleure prise en compte de leurs capacités, ainsi qu’une meilleure sécurisation dans des contextes en conflits.

Effectivement, il y a beaucoup de cadres de recherche dans lesquels les assistants de recherche sont impliqués : des recherches initiées par des Organisations Non-Gouvernementales, internationales et nationales, par des Universités du Nord tout comme celles du Sud, ainsi que par des projets individuels des chercheurs. Souvent, las assistants jouent un rôle clé dans plusieurs dimensions des projets de recherche : au moment de facilitation de l’accès aux zones de recherche, dans l’interaction avec les populations impliquées, pendant les moments d’analyse des données, etc. Cependant, une dimension qui n’est pas encore suffisamment traitée est celle des contrats de recherche qui engagent ces assistants de recherche.

En effet, dans le cadre de recherches impliquant des assistants de recherche, la plupart des contrats de recherches ou des arrangements conclus entre les deux parties sont des contrats bénévoles ou bien informels. Ainsi, en cas de contestation, l’assistant de recherche n’a pas une base ferme pour revendiquer ses droits.

Ensuite, même en cas de contrat de recherche formel, il y a souvent des lacunes au niveau du contenu. Certains chercheurs travaillant dans les zones en conflits ont montré que les prévisions financières pour des imprévus de terrain sont insuffisantes, parfois même inexistantes. Par exemple, certains collègues assistants de recherche ont témoigné qu’il est souvent arrivé qu’ils soient obligés de toucher dans leurs propres poches pour compenser des frais de terrains sans qu’ils puissent ensuite être remboursés.

De plus, les contrats de recherche ne prévoient souvent aucune clause sur la sécurité physique, et encore moins la sécurité mentale du chercheur. La responsabilité pour ces aspects est mise au niveau du chercheur individuel lui-même. Comme une chercheuse nous a témoigné : « Lors d’une recherche à Walungu, j’ai signé un contrat de recherche mais malheureusement rien n’était dit en rapport avec ma sécurité ni la prime de risque. Nous allions dans les zones rouges à nos risques et périls. » En cas de problème, le chercheur local se sent souvent très seul sur son terrain. Il ne sait pas non plus ce que le coordinateur du projet prendrait en charge si par exemple la situation venait à occasionner des dépenses. Par exemple, un collègue assistant de recherche nous a raconté comment son chemin de retour du terrain avait une fois été bloqué par un groupe armé. N’ayant aucun choix, il a dû passer par la zone de front car il ne savait pas si les frais (relativement considérables) d’un trajet plus sécurisé aurait été pris en charge par le projet qui l’employait.

Ensuite, au-delà du contrat, les accords qui lient les deux parties prenantes ne sont pas nécessairement respectés. Souvent, le chercheur étant l’une des parties contractantes ne reste pas avec la copie de contrat contresigné. Un chercheur a donné l’exemple d’une recherche commanditée par une ONG dans laquelle il était impliqué. Ils étaient engagés pour 6 mois, mais sans contrat signé. Et à la fin, ils ont finalement été payés pour un seul mois. D’autres coordinateurs des projets de recherche font signer aux chercheurs locaux de faux contrats. Un collègue nous révèle : « Nous avions été impliqués dans plusieurs recherches et parfois nous travaillions comme des bénévoles. Après avoir rendu les rapports pour être payés, les commanditaires nous disent d’attendre jusqu’à ce que nos rapports soient validés. Mais au final nous nous ne sommes pas payé ».

Finalement, plusieurs chercheurs critiquent le déséquilibre de pouvoir qui marque les relations de recherche sur le terrain conflictuel. Vu que les recherches impliquent souvent les chercheurs à courte durée, et avec une grande concurrence pour peu d’emplois disponibles, il y a peu de marge de manœuvre pour les chercheurs de négocier des meilleures conditions contractuelles.

Ces témoignages pourraient être anecdotiques. Cependant, elles témoignent d’un enjeu plus général qui mérite de recevoir de l’attention. Maintenant que de plus en plus de recherches se focalisent sur les défis éthiques et émotionnels du chercheur assistant, les aspects liés au contrat de recherche doivent être pris en compte par les commanditaires de recherche. La réorganisation des relations de pouvoir entre les instances qui commanditent des recherches et les chercheurs assistants - impliqués dans ces recherches – ne doivent plus se limiter à des gestes symboliques mais les contrats doivent être transparents, fiables et équitables.

 

 

Irène Bahati est assistante d'enseignement au Département des Sciences Commerciales et administratives à l'ISP/BUKAVU et Chercheuse au Groupe d'Etudes sur les Conflits et la sécurité humaine (GEC-SH).

Elisée Cirhuza est un chercheur et gestionnaire de programme au Groupe d’Étude sur le Conflit et la Sécurité Humaine (GEC-SH).  Contactez l'auteur sur cirhuelisee (at) gmail.com

Précieux Thamani Mwaka est rechercheur  de Land Rush à l' Institut Supérieur de Développement Rural de Bukavu. Contactez l'auteur: thamanimwaka (at) gmail.com

An Ansoms est professor à Université Catholique de Louvain

 

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