Attendre les oiseaux du matin: les traumatismes des chercheurs face aux terrains insécurisés

Attendre les oiseaux du matin: les traumatismes des chercheurs face aux terrains insécurisés

Juin 5, 2019
Précieux Thamani Mwaka
Thamani

L'auteur, Précieux Thamani Mwaka

 

 

Faire de la recherche en RDC est un métier dangereux suite à l’insécurité qui règne dans différents coins du pays, particulièrement à cause de la présence de groupes armés. Pour le chercheur, ce contexte impose des défis très concrets par rapport à la sécurité. Souvent, lorsqu’il s’agit d’analyser la question liée à la sécurité des chercheurs, on s’attache surtout à la sécurité physique. Cependant, il y a aussi une dimension psychique à prendre en compte dans la sécurité. Dans des phases de recherche, des expériences intenses peuvent laisser des traces profondes dans la vie des chercheurs. Si on ignore ce poids, ces traces peuvent se transformer en profondes traumatismes du chercheur.

 

Mon expérience personnelle prouve qu’en RDC, le métier du chercheur nous amène régulièrement dans des situations de danger de vie. On peut perdre sa tête partout et à tout moment, figurativement et littéralement. Par exemple, lors d’une recherche menée en territoire de Shabunda en province du Sud-Kivu, nous avons été pris en otage par l’armée régulière. Nous avons ensuite été considérés comme des boucliers de par cette dernière, dans un front entre elle et un groupe armé Maï Maï. Dans ce front j’ai vu les cadavres des assaillants étalés dans le village par l‘armée pour raison de leur identification. Je ne voyais que l’obscurité devant moi, c'est-à-dire ma mort aussi. Pendant un temps suite à cette situation, je ne pouvais plus manger de la viande.

Une autre recherche m’a amené en territoire de Walikale en province du Nord-Kivu. Seul avec le chauffeur dans le véhicule, nous sommes arrivés à un endroit où un chef rebelle avait tué un Colonel de l’armée régulière. Je ne connaissais pas cet endroit, c’est le chauffeur qui me l’a montré. Le Colonel en question fut familier à moi, étant parmi les leaders de ma communauté. Le chef rebelle était un fils du village dans lequel je devrais passer mon séjour de recherche. En me sentant en incapacité de travailler dans un tel contexte par peur, j’ai pu plaider auprès du coordinateur de recherche pour un changement de village. Cependant, le nouveau village choisi pour la recherche n’était qu’à 5 km de l’autre lieu. Ensemble avec les hommes du village, autour de 20 heures, le chef du village s’approcha pour me dire : « nous sommes ici sans problème, mais d’un moment à l’autre pendant la nuit notre fils rebelle peut arriver pour demander la cotisation pour la survie de ses militaires ». Je me rendais compte que les cinq kilomètres ne m’avaient pas du tout éloigné du danger que je craignais autant. Durant mon séjour, je n’ai pas pu dormir. J’attendais les oiseux très tôt le matin. Chaque matin, je remerciais Dieu pour avoir survécu une autre nuit.

A part les cas évoqués, j’aurais pu mentionner d’autres occasions difficiles et dangereuses pendant l’exercice de ce métier que j’adore. Et maintenant, je me pose toujours la question de savoir pourquoi je continue avec ce métier de chercheur ; est-ce que c’est par passion, pour la survie ou à cause de ma curiosité ? En même temps, je me rends compte que l’empreinte de toutes ces difficultés vécues et survécus dans mon parcours se sont ancrés en moi, et me mettent dans une vulnérabilité que j’ai pendant longtemps dû géré tout seul.

Cependant, à des rares occasions, on trouve des lieux d’échange sur ces questions. En Janvier 2018, je participais à une séance de réflexion sur la charge mentale de la recherche. Il y avait plusieurs chercheurs nationaux comme internationaux ayant déjà intervenus dans différents coins du pays. Cette séance me faisait réaliser que je ne suis pas seul à faire face à ce poids psychologique de la recherche. Tout chercheur avait une expérience douloureuse dans son parcours.  Ce qui m’a montré que tout chercheur sur un terrain insécurisé court le risque d’être traumatisé à un moment ou l’autre. Nous vivons des chocs psychologiques pour lesquels on est peu préparé, peu formé, peu encadré. Et donc très souvent, on ne sait pas comment on peut les gérer, soigner ou réparer.

Pour sortir de cette solitude, deux dynamiques pourraient être essentielles. Tout d’abord, entre nous chercheurs, il serait important de sortir de l’omerta autour de ce sujet. Nous devrions trouver des réseaux où en discuter. Ça pourrait tout d’abord nous permettre de sortir de la solitude, et à échanger sur comment trouver des pistes de gestion du poids. En même temps, ça nous permettrait de mettre cette question sur l’agenda de manière collective avec comme but de mettre à la portée de tout le monde tout ce que nous vivons sur terrain pour arriver à des solutions à plus large échelle.

Quant aux coordinateurs des recherches, ils doivent se rendre compte que le poids des chocs psychologiques du terrain n’est pas quelque chose banal. Ils doivent savoir que le chercheur sur le terrain insécurisé peut se retrouver dans des situations ou la frontière entre la vie et la mort devient très épaisse. En même temps, le déséquilibre de pouvoir entre le bailleur et l’employé le rend souvent difficile pour ce dernier de mettre la pertinence de ce sujet en avant. Comme coordinateur, on est éthiquement obligé à prendre en compte cet aspect dans la monture du projet et l’élaboration du projet. Des mesures d’accompagnement psychologique avant, pendant et après la recherche semble clé pour une culture de recherche durable dans des contextes insécurisés. Car les traumatismes, ne sont pas réparables. Et si le contraire est vrai, le coup reviendrait à combien ?

 

 

Précieux Thamani Mwaka est rechercheur  de Land Rush à l' Institut Supérieur de Développement Rural de Bukavu. Contactez l'auteur: thamanimwaka (at) gmail.com

 

Leave your comment