Désastre en Europe, donc enfer en Afrique ? Une crise sanitaire et la résilience locale

Désastre en Europe, donc enfer en Afrique ? Une crise sanitaire et la résilience locale

18 mars 2021
par Rehema Nzogo

 

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Rehema Nzogo

Depuis le début de la crise Covid19, elle traverse l’internet pour trouver les nouvelles. Pendant que la vie continue encore à Bukavu, elle lit comment le monde dit ‘développé’ se met en arrêt. Elle suit comment malgré les systèmes de santé soi-disant performants, les gens meurent en masse dans les hôpitaux italiens et américains. Et puis, le virus arrive chez elle, en RDC, dans un contexte où la capacité du système de santé est très limitée. Pendant qu’elle craint l’enfer, elle découvre aussi des formes de résilience locale...

Il y a près d’un an, l’année 2019 touche à sa fin. Je suis très motivée et pleine d’ambition, avec une ferme conviction que tout ira à merveille pour 2020, la nouvelle année qui s’annonce. Effectivement, cette année arrive et je démarre mes projets parmi lesquels, écrire sur tout ce que je vois.

 

 

Cependant, une situation sanitaire en Chine préoccupe tous les médias internationaux. Je la suis encore de loin et je me dis, ça n’arrivera jamais ici. Quelque temps après, cette situation qui autrefois ne concernait que l’Asie, arrive en Europe et, quelques temps après, en Amérique. Je regarde la télé chez moi chaque matin et je cherche les informations sur internet. Je remarque comment cette situation commence à devenir sérieuse. L’Italie est sous l’emprise de la covid-19 tandis que moi, je travaille encore comme d’habitude. Je me demande néanmoins comment se fait-il que l’Italie qui a un système sanitaire dit « développé » et « moderne », puisse être sous l’emprise de cette maladie. Si la maladie atteint une telle ampleur là-bas, quel sera le sort de mon cher pays, la RDC ? La peur continue à gagner du terrain chez moi. Presque toute l’Europe est maintenant atteinte par cette maladie. L’Italie, la France, l’Allemagne, l’Espagne, le Royaume Uni, la Belgique, … les pays du monde dit « développé », avec des systèmes sanitaires présentés comme performants et modernes, semblent en panique totale.

Quand je regarde les rues françaises à la télé, je constate qu’elles sont vidées des personnes. Il n’y a que le personnel soignant, les agents de nettoyage et de désinfection, ainsi que les agents du maintien de l’ordre. A ma grande surprise, les gens sont morts en masse. Le seuil de 2000 décès par jour a été dépassé. Les nouvelles contaminations sont en augmentation chaque jour. Je me questionne sur ce que veut vraiment cette pandémie ? Souhait-elle que la vie s’arrête d’un coup, pour tout le monde ?

Quant à l’Afrique, la maladie serait entrée par les pays du Maghreb et le Nigéria. Des messages circulent sur les réseaux sociaux annonçant que ce virus ne résisterait pas au climat chaud. Un espoir pour nous qui serions soi-disant incapables de gérer cette pandémie selon les ‘on-dit’ de certains européens. Néanmoins, à ma grande surprise, même les pays arabes, aussi chauds qu’ils soient, enregistrent déjà plusieurs morts. Je perds alors mon espoir de voir l’Afrique survivre à cette pandémie.

En mars 2020, le premier cas de cette maladie est déclaré en RDC. Le président de la république déclare directement l’état d’urgence à la manière du monde dit « développé ». Toutes les activités sont arrêtées et toutes nos frontières sont fermées, même les ports et les aéroports. Pour la première fois de ma vie, la population congolaise, autre fois dépendante de l’extérieur, se voit obligée de se prendre en charge si non ce sera l’hécatombe prédite par certains du monde dit « développé ».

Je vis dans une ville transfrontalière, une ville où presque tout vient d’un pays voisin. Au début de l’état d’urgence, j’avais peur pour notre survie. Mais, à ma grande surprise et contrairement à ce que je voyais et suivais de certaines villes européennes, j’ai découvert une Afrique capable et un africain qui ne veut pas copier un mode de vie européen pour la première fois. C’est un Afrique prête à vivre avec cette pandémie, quel que soit le désastre qu’elle ait causé dans le monde dit « civilisé », avec des systèmes sanitaires dits « développés ».

Une Afrique capable : L’Afrique est un continent importateur pour une grande partie de ses besoins. Il y a des pays qui dépendent essentiellement des importations comme, par exemple, la RD Congo. Mais, pendant cette période durant laquelle accéder à un produit venant de l’étranger est devenu compliqué, voire même impossible dans certains cas, les autorités nationales et provinciales ont décidé d’appuyer les petits agriculteurs locaux, en mettant à leur disposition des moyens pour transporter des vivres des milieux ruraux vers les villes. Ces autorités craignaient de voir la population urbaine succomber de faim.

Un africain qui ne veut pas copier un mode de vie européen pour la première fois : Malgré le caractère copier-coller de la déclaration d’état d’urgence faite par les dirigeants congolais, la population a vite compris qu’il ne fallait pas suivre ce mot d’ordre copié « Restez chez vous » sans tenir compte des réalités locales. Elle a opté pour l’application des mesures barrières à son rythme, tout en continuant à se déplacer à la recherche du pain du jour. La plus grande partie de la population en milieu urbain ne vit qu’au jour le jour.

Une Afrique prête à vivre avec la pandémie : Beaucoup ont fait preuve d’ingéniosité et ont trouvé un moyen de subsistance pendant cette période. Par exemple, à Bukavu, les vendeuses de légumes provenant du Rwanda voisin avant le confinement, ont trouvé un nouveau produit à vendre : « les feuilles » considérées comme un médicament contre la covid19. Cela a progressivement amené cette Afrique qui semble prête à vivre avec cette maladie. La grippe et la malaria ont trouvé des remèdes dans les plantes. Pourquoi ce nouveau virus ne pourrait-il pas aussi se gérer par d’autres moyens ? Petit à petit, tout le monde a appris à vivre avec cette maladie. Jusqu’à présent, le continent africain n’a pas vécu l’hécatombe crainte et annoncée par certains du monde dit « développé ».

Une pandémie est une situation compliquée, inédite et effrayante mais ce n’est pas pour autant que la vie va s’arrête d’un coup. Les dirigeants et population de certains pays du monde dit « développé » semblent, dans une certaine mesure, avoir cédé à la panique alors que leurs systèmes sanitaires sont dits « développés ». Dans certains pays d’Afrique notamment la RDC, la population, à cause de conditions de vie difficiles, semble avoir été plus optimiste et avoir appris à vivre avec cette maladie avec les moyens existants, quelques soient les dégâts qu’elle ait causés en Europe et en Amérique.

REHEMA NZOGO est  enseignante à l’Institut Supérieur Pédagogique de Bukavu et  Chercheuse  au sein du Groupe d’Etudes sur les Conflits et la Sécurité Humaine (GEC-SH). Dans ses recherches, elle s’intéresse à la conception et la réalisation des systèmes d’informations informatiques et aux questions d’ éducation et de  promotion de la femme dans les milieux ruraux et urbains.

Elle fait parti de "La Grenelle des femmes chercheuses", un cadre pluridisciplinaire qui réunit les chercheuses de Bukavu à travers deux centres de recherche (le GEC SH et Angaza Institute); celles de la région des Grands-Lacs d’Afrique; de l’Europe; et d’autres continents. "La Grenelle" oeuvre aux échanges sur le métier de la chercheuse, un métier perçu comme « domaine réservé » aux hommes surtout dans les zones des conflits et post-conflits. Pourtant, au-delà des  obstacles dont elle fait face, d’un sexisme irréductible, la chercheuse jouit des plusieurs avantages dont par exemple, l’accès facile à des personnes vulnérables et à des discours cachés.

Dans le cadre des vécus des chercheuses pendant le confinement dû à la crise du corona virus, la Grenelle des femmes chercheuses, lance une série des publications des blogs nommée « Grenelle Corona vagues ». Les réflexions  et idées portées dans ces blogs parlent des expériences locales, des rôles et places, des charges psychologiques des chercheuses pendant  ce temps de crise.

 

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