La guerre en RDC : dévoiler le pouvoir caché de l’agence
Les rebelles du M23, soutenus par le Rwanda, poursuivent leur avancée implacable, conquérant villages, cités et villes à l’est de la République Démocratique du Congo (RDC). La chute de la ville de Bukavu, ultime prise importante après plus de trois ans d’offensive, symbolise un nouveau revers dans la destruction des vies et des communautés de l’Est du , dévasté par trois décennies de guerre. En tant que natif de Bukavu, que j’ai habité presque la moitié de ma vie et où je retourne plusieurs fois par an, je ressens donc un déchirement profond. Par ailleurs, et cette fois-ci en tant que chercheur pratiquant l’ethnographie dans la région des Grands Lacs (Rwanda, Burundi et RDC) et témoin de l’interdépendance entre les populations transfrontalières de ces pays, je fais face à une impuissance accablante devant l’incertitude sécuritaire et humanitaire qui pèse sur les habitants de cette région. Principalement agriculteurs et issues des couches les plus pauvres de ces pays, ces populations sont les premières victimes de logiques de puissance et de souverainisme qui, aujourd’hui, obsèdent les belligérants. Enfin, en tant que juriste et politologue, je suis profondément exaspéré par la façon dont cette guerre est traitée dans les médias. Déclenché en novembre 2021 par la prise de Chenu et Runyonyi par le M23, ce conflit trouve ses racines dans une histoire complexe de guerres régionales, en particulier la première guerre du Congo en 1996, qui a vu l’occupation de Bukavu par des rebelles soutenus par le Rwanda, dont certains font aujourd’hui partie du M23.
Un conflit aussi vieux ouvre la porte à une multitude d’interprétations contradictoires qui compliquent sa compréhension. Bien que la diversité des analyses soit enrichissante, elle conduit à des interprétations opposées, chaque acteur abordant le conflit à travers le prisme de ses propres valeurs et intérêts. L’asymétrie de l’information, amplifiée par la rapidité de diffusion des nouvelles et la prolifération des fake news, aggrave encore la situation, produisant des analyses souvent erronées ou incomplètes. Voilà pourquoi il me semble crucial et urgent de prendre la parole pour tenter de contribuer à la clarification des clés de lecture de ce conflit. Mon objectif n’est pas de répéter les thèses qui structurent les discussions médiatiques, comme le rôle du Rwanda, des minerais, de la gouvernance et des acteurs internationaux comme facteurs clés dans ce conflit. Ce que je propose, c’est de tenter de lire la phase actuelle de ce conflit à partir d’une clé de lecture majeure issue des débats de la deuxième vague en sciences politiques africaines (1980-1990). Il s’agit de la reconnaissance du caractère foncièrement politique des discours et pratiques d’acteurs politiques africains. Cette reconnaissance exige de dépasser l’époque où les politologues analysaient l’actualité politique en Afrique à travers une vision réductrice, considérant les événements historiques comme des processus mécaniques et inéluctables, les actions des acteurs comme impulsives et hasardeuses, et les phénomènes sociaux sous un prisme dogmatique et culturaliste.