‘Un assistant de recherche n’est qu’un exécutant’ : l’intérêts d’associer les chercheurs locaux au montage des projets de recherche

‘Un assistant de recherche n’est qu’un exécutant’ : l’intérêts d’associer les chercheurs locaux au montage des projets de recherche

24 Octobre, 2019
par Vedaste Cituli Alinirhu
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L'auteur,  Vedaste Cituli Alinirhu   

 

Dans un contexte épistémique marqué par ‘un regain d’intérêt des chercheurs pour la recherche qualitative, une attention particulière sur la manière dont les méthodes et techniques de recherche sont appliquées sur le terrain est importante. Car, en effet, les méthodes qualitatives considèrent très sérieusement le contexte dans lequel ces méthodes sont mises en œuvre. En d’autres termes, l’application des méthodes qualitatives nécessite une très bonne connaissance de terrain que souvent les chercheurs étrangers n’ont pas. Cette connaissance du terrain n’est pas seulement liée aux contextes politique, social, culturel ou encore économique souvent connus globalement par les chercheurs étrangers. Elle signifie aussi une fine connaissance des aspects plus complexes et subtiles que, souvent seuls les assistants de recherche connaissent bien.

Par exemple, le focus group est une technique qualitative souvent utilisé par les chercheurs. Mais c’est aussi une technique sujet à plusieurs défis liés à la dynamique de groupe, aux facteurs contextuels influant sur l’interaction, aux caractéristiques sociologiques des membres des groupes ciblés, à l’environnement social et aux problématiques sociétales étudiées ou encore aux rapports des pouvoir entre les acteurs au niveau local. Il est donc crucial de pouvoir lire les discours des participants du groupe au-delà de leurs simples paroles. Il faut donner beaucoup d’attention aux paralangages et anecdotes.

Or, ces aspects méthodologiques sont souvent peu pris en compte sur le terrain, non pas nécessairement parce que le commanditaire de la recherche n’en n’est pas informé mais simplement parce qu’il ne connait pas assez le contexte. On a parfois l’impression qu’il impose des méthodes et des techniques aux chercheurs locaux juste pour montrer satisfaire aux critères de l’échantillonnage et non pour avoir vraiment des informations sérieuses. Les chercheurs sont alors obligés d’adopter la méthode en vue de satisfaire le commanditaire.

Nous considérons que ce problème est souvent lié au fait que les chercheurs locaux sont considérés comme des exécutants et non vraiment des partenaires des projets de recherche. Les commanditaires des projets définissent en amont leurs projets, souvent sans avoir les avis des chercheurs locaux avec lesquels ils vont travailler sur le terrain. Au mieux, on leur demande des informations sécuritaires ou des contacts, ou encore on leur confie des tâches logistiques ou des contacts. Au pire, on le contacte quasiment à la veille pour leur demander s’ils veulent participer dans la recherche. Mais on ignore souvent que ce fait de considérer le chercheur local comme un simple exécutant peut avoir des effets négatifs sur la qualité des données qu’on récolte. Je vais ici illustrer ce problème par quelques exemples tirés de mes expériences avec des focus group qui n’ont pas permis de donner des données de qualité simplement car le commanditaire ou chercheur du nord ne nous avait pas associé à la réflexion méthodologique.

En effet, dans plusieurs recherches où j’ai participé, le commanditaire a insisté sur l’organisation des focus groups. Faute de moyens, le nombre de jours de terrain étaient souvent limités par rapport au nombre de focus group prévus. Ceci étant, il fallait improviser sur le terrain, en essayant de convaincre les personnes présentes à participer dans des entretiens en groupe. Les participants n’étaient pas avisés au préalable, ni sélectionnés sur base de critères préétablis. Souvent, les entretiens étaient monopolisés par un ou quelques acteurs. Dans certains cas, des participants moins bavards ne cessaient de nous cligner des yeux. D’autres renfrognaient le visage ou mettaient les bras sur leurs joues tout en gardant un doigt tendu, attendant la parole. Par peur de l’autorité du chef et pour sauvegarder leurs intérêts privés ou encore par simple respect envers le chef, lors de la remise du débat, les participants ne faisaient que répondre « le chef a tout dit que … ».  Malgré les efforts fournis pour équilibrer le débat, les autres, en prenant la parole, introduisaient leur allocution par : « comme disait le chef … ». Il nous a été, sans tenir compte du temps, préétabli par le commanditaire de constituer au préalable les équipes avant l’entretien. Alors que la demande du commanditaire était d’effectuer cinq focus groups dans cinq jours, avec une moyenne de dix participants, trois focus groups avec une moyenne de cinq personnes nous ont suffi pour la saturation.

Outre ces signaux, quelques langages codés étaient souvent empruntés par des participants. Pour s’attaquer respectueusement aux idées de leur chef, les participants avaient tendance à répondre en proverbes. C’est le cas d’un sage de Burhinyi que le chef avait ordonné de présenter les ajouts. Sa réponse était « on ne peut pas tout dire chef, vous avez dit l’essentiel ». Une autre femme dans un focus group des couples sur le planning familial nous avait répondu « Au Bushi, deux personnes ne s’expriment pas » pour dire, les idées de mon mari suffisent, je ne peux pas le contredire.

Ces exemples montrent qu’appliquer des méthodes qualitatives (comme les focus groups) sans maitriser le contexte local et sans tenir compte des signaux subtils est problématique eu égard aux principes méthodologiques de base. Ceci est encore plus problématique lorsque l’intérêt de ces méthodes est purement de gonfler artificiellement l’échantillon. Cependant, même quand le chercheur a eu le temps d’étudier le contexte pour bien développer sa méthodologie d’entretien en groupe, la maitrise des dynamiques du groupe reste compliquée. Les chercheurs du nord ne sont pas souvent au courant des relations de pouvoir implicites et des enjeux relationnels entre les participants.

Ainsi, le silence, les signaux du corps (paralangages) sont toutes des données que le chercheur doit interpréter en leur donnant du sens. Ces « métadonnées » dévoilent pleines d’informations intéressantes qu’il faut capitaliser. Par ailleurs, il n’est pas évident pour le chercheur de lire et de décoder ces données. Dans ce type de cas, un assistant de recherche amène un avantage comparatif fondamental. Il est mieux outillé dans l’interprétation des signaux subtils des participants : leurs petits gestes, silences, ennuis, des petits signes, etc. Tous ces éléments dévoilent pleines d’informations importantes qu’on peut utiliser dans l’analyse.

Néanmoins, le potentiel due l’assistant de recherche dans ce sens est rarement valorisé par les commanditaires. Souvent, on est poussé à rassembler et à retranscrire des simples paroles sans être stimulé à rapporter ces métadonnées. En même temps, l’assistant de recherche est souvent instrumentalisé par le commanditaire comme un simple ‘robot de collecte de données’ sans l’impliquer préalablement dans les réflexions méthodologiques ni lui donner des marges de manœuvre pour l’orienter. Ainsi, ce chercheur a peu de marges pour valoriser son analyse des métadonnées, par exemple à travers des entretiens individuels plus approfondis avec des individus du groupe.

En bref, les méthodes et techniques qualitatives sont souvent utilisées dans des circonstances non appropriées. L’analyse de la dynamique du contexte et des dynamiques sociales de manière approfondie et subtile est cruciale pour bien appliquer ces méthodes et techniques et avoir des données de qualités. Ces dynamiques ne sont pas souvent observables dans les simples paroles des gens, mais aussi dans les métadonnées que les participants dévoilent (leurs silences, le langage de leurs corps, leurs gestes). L’assistant de recherche a un vrai atout en comparaison avec des chercheurs étrangers pour pouvoir capter et bien interpréter ces données. D’où la nécessité de l’impliquer en amont en tant que partenaire du projet. Et cette nécessité d’associer le chercheur local comme partenaire du projet ne vaut pas seulement pour les aspects méthodologiques. Elle veut aussi pour la construction de l’objet et l’analyse des données.

 

 

Vedaste Cituli Alinirhu est enseignant-chercheur à l’Institut Supérieur de Développement Rural de Bukavu (ISDR-Bukavu)

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