Repassez après. — Quel jour ? — Repassez seulement !

Repassez après. — Quel jour ? — Repassez seulement !

6 Janvier 2020
par Irène Bahati
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Irène Bahati

Faire la recherche implique la collecte des données dans un temps matériel imparti et spécifique. Dans ce cadre, des coordinateurs de recherche (acteurs académiques et ONG) ont souvent recours aux assistants de recherche basés au Sud pour la collecte des données. Cependant, ces assistants sont limités par des difficultés de réunir les données nécessaires dans le temps prévu. Très souvent, la navigation sur le terrain se montre davantage complexe et risque de provoquer des dynamiques qui font que le temps prévu pour la recherche ne suffit plus. L’un des problèmes les plus fréquents est le refus de la part des populations ciblées de participer à la recherche en fournissant des informations au chercheur. Ce refus n’est pas toujours radical et peut également évoluer. Il peut impliquer des rendez-vous manqués qui ont pour risque d’entraver le processus de la recherche aussi bien de la part du participant de recherche que des commanditaires. Cet aspect présente des défis éthiques de la recherche qui malheureusement ne sont pas pris en compte dans le montage des projets. Or, ils mettent souvent l’assistant de recherche devant un stress important lorsqu’à cause de ces rendez-vous manqués, il ne peut pas présenter les résultats dans les temps impartis. En d’autres mots, le terrain impose des conditions de travail à l’assistant de recherche, ce qui est rarement pris en compte par la recherche, souvent guidée par une logique d’extraction.

 

Naviguer sur le terrain de recherche n’est pas une tâche facile. Les complexités du terrain sont souvent fortement sous-estimées. Surtout, arriver à convaincre les gens de participer n’est pas du tout une évidence. Effectivement, le chercheur ne peut pas s’imposer sur le terrain ; il dépend toujours de la bonne volonté du participant pour accéder aux informations dont il a besoin afin de mener à bien la recherche. Dans certains cas, le refus de participer est clair. Certains interlocuteurs ne veulent pas se rendre disponibles pour livrer les informations. Ils perçoivent parfois la recherche comme un dérangement ou une perte de temps. D’autres décident de ne pas (tout de suite) livrer les données au chercheur car ils présument que celui-ci a été payé alors qu’eux n’ont rien reçu. Dans beaucoup de cas, les participants à la recherche fixent des rendez-vous en dehors des échéances de la recherche, ce qui met l’assistant de recherche en difficulté. Face à cette indisponibilité, les assistants de recherche se trouvent bloqués, surtout s’ils n’ont pas d’autres alternatives. Cette situation crée beaucoup de frustrations. Par ailleurs, les chercheurs et les assistants doivent se préparer à ces défis liés à l’indisponibilité des participants à la recherche car ces derniers ne sont pas obligés de fournir les informations ou d’être disponibles à des moments définis par la recherche pour la collecte des données. En d’autres termes, être informé n’est pas un droit acquis des chercheurs de terrain. Cela pose des défis réels et il appartient au chercheur de savoir comment naviguer entre divers espaces pour parvenir aux résultats escomptés.

Récemment, j’ai participé à une recherche sur l’économie politique des élections et la dimension de genre. Je devais rencontrer les femmes qui venaient d’être élues et celles qui ne l’avaient pas été. La surprise était désagréable : la plupart d’entre elles refusait de me recevoir car elles étaient très occupées et avaient mieux à faire que de parler des élections qui d’ailleurs étaient déjà passées. D’autres me demandaient de leur présenter un ordre de mission où il était clairement mentionné que la recherche devrait prendre fin le 6 février 2019. Mais malgré cela, beaucoup m’ont proposé de repasser deux semaines après cette date de fin de la recherche. Elles allaient alors voir si elles seraient déjà dégagées de leurs multiples occupations. D’autres encore me disaient : « Repassez après ! » Et quand je posais la question : « Quel jour ? », elles me répondaient : « Repassez seulement ! ». Ces imprécisions dans les rendez-vous m’ont toujours laissée dans l'embarras. Mais plus grave encore, dans beaucoup de questionnements sans réponses certaines. Je me demandais ce que font d’autres assistants de recherche face à de telles situations. Ne livrent-ils pas de données incomplètes, voire de fausses données pour se dédouaner et plaire aux commanditaires ? Et que font ces derniers quand un chercheur honnête leur rapporte ses difficultés à rassembler les données dans le temps ? Est-ce qu’il est accueilli en confiance, apprécié pour toutes ses tentatives et rémunéré pour le travail que tout cela implique ? Ou au contraire est-il traité comme un paresseux qui n’a pas délivré à temps ce pourquoi il s’est engagé ? Plus généralement, est-ce qu’on a le droit de s’imposer comme chercheur ?

Après le terrain, en partageant ces expériences vécues avec les collègues chercheurs, j’ai vite compris que je n’étais pas la seule à avoir traversé ces difficultés. Un de mes collèges était très troublé et tourmenté car, dans sa recherche, il était prévu qu’il rencontre une seule personne à interviewer. À plusieurs reprises, il a tenté de la rencontrer mais en vain. Tout ce qu’il a reçu, c’était des promesses. Malheureusement, les dates de rendez-vous qu’il a reçues dépassaient largement le délai alloué pour cette recherche.

Les assistants de recherche rencontrent beaucoup d’autres expériences similaires qui constituent des défis énormes dans leur travail. Mais d’un autre point de vue, les chercheurs ne devraient pas prendre ces différents défis d’indisponibilité comme une source de frustration. Par contre, ils doivent développer des mécanismes et d’autres voies de sortie pour mener à bien le travail attendu. Mais plus important, une marge de manœuvre devrait leur être accordée par les bailleurs. Celle-ci devrait ouvrir vers d’autres alternatives en cas de rendez-vous dépassant les délais prévus pour la recherche. Une réflexion à ce sujet mérite donc d’être faite par les commanditaires de la recherche. Cela a des conséquences certaines sur la qualité des données récoltées.

 

Irène Bahati est assistante d'enseignement au Département des Sciences Commerciales et administratives à l'ISP/BUKAVU et Chercheuse au Groupe d'Etudes sur les Conflits et la sécurité humaine (GEC-SH)

 

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