Recherche ou aventure ? Comment les chercheurs locaux « vivent » la recherche
François-Merlan Zaluke Banywesize
Les collaborateurs et assistants de recherche jouent un rôle clé dans beaucoup de projets de recherche en RDC. Cependant, leur rôle dans le cycle de production scientifique reste souvent invisible. Les conditions dans lesquelles ils travaillent sont rarement analysées et discutées. Leur présence est rarement rendue visible dans les résultats finaux. Ils sont d'une certaine façon traités comme des « robots » collecteurs des données. On considère très peu comment le collaborateur « vit » la recherche ; comment il se sent pendant ses passages sur le terrain ; et comment son « état moral » influence la qualité de son travail et son bien-être personnel. Et même quand la motivation des collaborateurs locaux est considérée, souvent la discussion se limite autour du salaire qu’on leur paie, sans prendre en compte d’autres aspects.
Tout d’abord, le vécu du chercheur démarre dès la phase de préparation de terrain. Souvent, la phase de formation préparatoire d’une recherche est très peu organisée et se passe dans la précipitation. Considérons par exemple une expérience personnelle d’une recherche à laquelle je participais en 2010. La recherche impliquait l’utilisation d’une méthodologie MARP (méthode accélérée de recherche participative). Cette méthode incorporait une multitude de techniques : interviews individuelles, interviews de groupe (focus group), cartographie participative, différents protocoles d’observation participante, élaboration de calendriers saisonniers, de ligne de temps écologique et de diagramme causal en forme d’arbre. Pour cette multitude de méthodologies, la formation prenait peu de temps. Ceci imposait un stress psychologique immense aux chercheurs impliqués. Personne n’avait l’impression de pouvoir vraiment absorber toutes les informations. Et ce sentiment de « ne pas être en mesure » s’installait même dans l’ambiance de la salle de formation. Certains chercheurs ne parlaient plus. D’autres tombaient malades face à la complexité du travail à réaliser dans un court délai. À de modestes tentatives par certains chercheurs de le rendre clair aux bailleurs, les animateurs répliquaient simplement que le terrain serait facile : « Ce n’est qu’un terrain de quelques jours et nous aurons les données facilement ».
Ensuite, le vécu du processus de recherche ne s’arrête pas là. Une fois sur le terrain, le chercheur local est censé trouver des solutions à toutes sortes de complexités de terrain. Avec un bailleur qui ne se rend pas forcément compte de ces complexités, il n’est pas facile de discuter sur ces aspects, ni sur la charge psychologique que ces complexités imposent au chercheur. En effet, dans la recherche que je viens d’évoquer, au fur et à mesure que nous évoluions, la recherche devenait de plus en plus embarrassante. Une facette fortement sous-estimée était par exemple l’énergie demandée au chercheur pour motiver les groupes cibles de participer à la recherche. À chaque rencontre, on était confronté à des paroles comme : « Ne nous prenez pas beaucoup de temps. Vous allez donner quoi après ces échanges ? ». Et aussi : « Commençons mais sachez-le bien que vous êtes aussi des hommes… ». Cette parole référait au fait que les participants réclamaient implicitement une compensation pour avoir donné les informations aux chercheurs. En tant que chercheurs, il fallait que nous trouvions des mécanismes pour faire face à ces défis, ce qui a fait que nous sommes restés sur le terrain plus de jours que prévu.
Le « vécu de la recherche » ne s’arrête pas au moment où les données sont rassemblées. Souvent, le collaborateur est responsable de l’encodage de ces données selon un format préconstruit. Cependant, dans la suite, le chercheur n’est plus forcément impliqué. Ceci peut poser problème par rapport à la façon dont les populations le considèrent comme redevable par rapport à la restitution des données. Mais aussi, ne pas avoir une vue sur les étapes suivantes de la recherche et manquer une visibilité dans la présentation des résultats finaux peut générer un sentiment d’impuissance.
Comme les aspects éthiques de la recherche actuellement commencent à être soulevés dans les ateliers de formation, il est important de considérer l’aspect « humain » du vécu du chercheur. Lui donner plus de marge de manœuvre dans les différentes étapes du projet pourrait être un pas en avant. De plus, il serait important de rendre disponible un espace d’échange et de partage sur les défis humains de la recherche.