RDC : Les magouilles autour de la concession forestière de FODECO

RDC : Les magouilles autour de la concession forestière de FODECO

Série de blogs sur les luttes socio-environnementales dans le nord-est de la RDC
5 Octobre 2021
par Judith Verweijen et Augustin Tsheza
FODECO logs for export

Grumes de FODECO pour l’export

C’est en 2015 que la société Chinoise Forestière pour le Développement du Congo (FODECO) a été octroyée une concession forestière (n°003/15) dans le territoire de Basoko en province de Tshopo. Mais en août 2016, sur instigation du premier ministre Augustin Matata Ponyo, cet octroie a été annulée. La raison ? Elle viole le moratoire sur de nouvelles concessions forestières prononcée en 2002, un outil développé pour mettre fin au chaos généralisé dans l’industrie forestière. Curieusement, en février 2018, le nouveau Ministre de l’Environnement, Amy Ambatobe, décide de restaurer ces concessions, malgré leur manifeste illégalité.

Vers la fin de l’année 2018, FODECO signe une clause sociale avec les communautés affectées par l’exploitation, comme stipulé dans les dispositions du code forestier et ses mesures d’application. Toutefois, la société n’a pas dressé un inventaire, c’est à dire, elle n’a pas identifié le montant global d’arbres de chaque espèce à abattre et leur localisation ni élaboré un plan de gestion ou d’aménagement. Or, l’inventaire est primordial pour assurer une répartition équitable (par groupement) des fonds de développement pour les communautés locales et des réalisations sociales telles comme la construction des routes et écoles.

 

Profitant d’un manque de connaissance de la loi forestière parmi les autorités locales, FODECO va convaincre les trois groupements affectés, à savoir Mohonge, Onduka-Opandu et Winawina, de signer une clause collective au lieu d’une seule clause par groupement conformément à la loi. Dans l’absence d’un inventaire, il n’y a pas une base solide pour déterminer l’enveloppe globale des coûts des infrastructures, qui sera alors un montant arbitraire. Une budgétisation réaliste manque également : pour la construction du pont Mokeke, on met une somme forfaitaire sans aucune étude des dimensions et des aspects techniques.

Malgré l’absence d’un inventaire et plan d’aménagement, l’entreprise réussit mystérieusement à obtenir un permis de coupe.  Au cours de l’année 2018, elle commence les activités sur terrain, sans toutefois verser le 10% de préfinancement pour la réalisation de la clause sociale comme prévu dans la loi. Très vite, elle dépasse les limites de sa concession en construisant un port et une base au village de Koki dans le secteur Bomenge. En plus, elle commence à couper dans le groupement de Gbakulu, très riche en Afromosia, sans avoir signé une clause sociale avec dudit groupement.

Ravager la forêt

L’exploitation industrielle qui s’effectue par la société FODECO se fait marquer par l’abattage des bois sans respecter les normes et sans espoir de reboisement ; indique les ressortissants de la chefferie de Yaliwasa.

Un leader locale rencontré sur terrain en 2019 témoigne : « ils exploitent avec trop de dérapages, de débordements, des irrégularités….ils ont débordé même leur permis de coupe. Ils sont déjà dans la troisième assiette annuelle de coupe (AAC, la superficie annuelle autorisée pour la coupe) ».

D’autres violations du code forestier sont également constatées : selon un notable du village Yaboloko, « pour que l’exploitation soit durable, il faut couper un arbre à un mètre du sol. Mais eux, ils coupent jusqu’au sol. Et quand ils cubent, ils prennent la circonférence de duramen tout en rejetant l’aubier. Or, ils amènent la grume tout entière. » D’après lui, il se passe régulièrement qu’ils ne cubent qu’une partie des grumes exploitées qui le rend difficile à déterminer les volumes prélevés et par conséquence, le montant qui doit alimenter le fonds de développement.

Dans son avidité de couper les espèces du plus haute valeur le plus rapide possible, la société ne respecte même pas l’interdiction d’abattage des arbres semenciers ni de couper à moins de 50 mètres de l’eau. En outre, elle coupe près des champs des gens, ce qui est également interdit. Selon un agent du bureau de l’agriculture de la chefferie de Yawinawina, les champs des plusieurs paysans sont ravagés.

La route que l’entreprise a construite, sans aucune étude d’impact environnemental, constitue un autre problème. Cette route n’est pas bien aménagée, c’est plutôt une route improvisée. Des grumes mis comme fondement obstruent le passage de l’eau qui est alors devenu stagnant et pleine d’écume. « Les gens risquent de tomber malade avec cet eau sale. Nous avons demandé qu’on ouvre la voie pour que l’eau coule comme auparavant, mais rien de cela n’est fait » dit un notable du village Yaboloko.

En dehors du problème de l’eau, plusieurs habitants ont remarqué les disparitions des espèces animales et végétales (chenilles, etc.) à cause du bruit des machines dans la forêt ainsi que l’abattage des arbres à chenille.

Logging road constructed by FODECO

Chemin d'exploitation forestière construit par FODECO

La population résiste

Les irrégularités autour de la clause sociale et l’impact néfaste sur la forêt ont provoqué la colère des populations locales. Face à cet amalgame de problèmes, les leaders locaux, avec l’appui de certaines ONG et associations de Basoko, s’investissent à fond pour redresser la situation, jusque-là avec peu de résultats.

En 2019, l’ONG Union pour le Développement de Basoko (UDEBA) envoie un mémorandum à l’intention du Gouverneur de la province de Tshopo et organise plusieurs rencontres avec lui. A l’issue d’une de ces rencontres fin juin, le gouverneur ordonne la suspension des activités d’exploitation de FODECO, mais sans signer aucun ordre. Cette suspension reste alors informelle et après seulement 20 jours, elle est déjà levée.

En novembre 2019, après une autre mission d’enquête sur terrain, le Ministre de l’Environnement, Me Claude Nyamugabo, suspend de nouveau les activités d’exploitation de FODECO et le transport de ses produits. Or, sur terrain, l’exploitation va vite reprendre, sans que les problèmes principaux soient résolus.

 

 

Face aux blocages dans le dossier, une nouvelle structure appelée la « Minorité Silencieuse », qui regroupe les intelligentsias de Basoko, prend le dessus. Cette structure appelle à l’action judicaire et directe contre la société, tout en faisant le plaidoyer et le lobbying auprès des autorités et élus du peuple.

Suite à la pression de la Minorité Silencieuse, une délégation du Ministère de l'Environnement descend sur terrain en mars 2020, suivi par une délégation de l’assemblée provinciale en juin et une autre délégation provinciale le mois d’octobre. Aucune de ces missions n’apporte des résultats. Entretemps, le bois continue à sortir, sans que des projets d’intérêt communautaire soient réalisés.

En avril 2021, Ève Bazaiba Masudi, native de Basoko et déjà saisi du dossier FODECO, est nommée Vice-Premier Ministre et Ministre de l'Environnement dans le gouvernement de Sama Lukonde. Au début de son mandat, elle promet d’assainir le secteur forestier, ce qui suscite une lueur d’espoir. Toutefois, son plan delever le moratoire sur des nouvelles concessions d’exploitation forestière, annoncé le mois de juillet, inquiète, malgré son insistance qu’il sera remplacé par des mesures encore plus stricts.

Lorsque le dossier continue à être bloqué sur le plan politique, sur terrain, les populations manifestent leur colère envers FODECO à travers de l’action directe. En mai 2019, elles bloquent la route pour mettre fin à l’évacuation des grumes. Selon un habitant : « Ici, cette fois-ci, nous avons barricadé la route parce que c’était du vol. Quand nous avons vu le véhicule avec les grumes, nous l’avons bloqué ». D’autres actions suivent en octobre 2020, menant aux altercations. Un leader local témoigne : «   Nous, la société locale, nous aimerions que cette communauté parte aujourd’hui même ».

La résistance directe est dangereuse. Ceux qui sont identifiés comme des « fauteurs de trouble » sont souvent ciblés par les autorités. Les Chinois qui travaillent pour la société et leurs collaborateurs Congolais ont des contacts faciles avec les autorités à tous les niveaux, du village jusqu’à Kinshasa. Ces contacts sont en toute probabilité facilités par les soi-disant « cadeaux » et « enveloppes ».

En contrepartie, les autorités aident à faire taire les voix discordantes, par exemple, par des promesses non-respectés ou des manœuvres échappatoires, comme encore plus de missions de terrain ou plus des rencontres qui resteront sans suite. Elles orchestrent également des intimidations subtiles et des réponses musclées par les services de sécurité.

Basoko n’est pas à vendre

Malgré ces menaces, les leaders locaux, ainsi que leurs alliés dans la société civile mais aussi parmi les professionnels de médias faisant des reportages pour exposer l’exploitation sauvage de bois ne sont pas prêts à arrêter la lutte.

Comme l’un d’entre eux explique, il ne peut pas accepter que la société exploite lorsque la population, déjà trop pauvre, ne gagne rien. « Imaginez-vous, on produit des bois chez moi, mais jusqu’à présent les gens n’ont même pas de lit en bois. Ils n’ont pas des fenêtres, ils n’ont pas des portes. Ils envoient tout en Europe ou soit en Chine. Là ça ne va pas ».

D’autres se soucient des générations futures. « Ils coupent sauvagement sans reboiser alors il ne restera rien de la forêt pour nos enfants » dit un membre de la société civile.

Pour dire « non » à ce pillage, ces défenseurs de la forêt ont adopté le slogan « le Basoko n’est pas à vendre » ainsi soulignant que cette espace ne doit pas être commercialisé sur le dos de la population. Une femme leader de la Minorité Silencieuse s’exprime ainsi  « Le peuple gagne toujours. Basoko n'est pas à vendre et ne sera jamais vendu ».

Ce blog fait partie d'une série de blogs sur les luttes socio-environnementales dans le nord-est de la RDC

Judith Verweijen est maître de conférences au département de sciences politiques et relations internationales  à l'Université de Sheffield. Ses recherches portent sur l’interaction entre la violence, les conflits autour des ressources naturelles et la mobilisation sociale. Elle se focalise sur l’est de la République démocratique du Congo, où elle a mené des recherches de terrain depuis 2010

Augustin Tsheza est journaliste d'investigation, chercheur et expert en communication pour le changement climatique. Il mène des recherches sur le développement communautaire, la sécurité et les conflits liés à la forêt et l’exploitation des ressources naturelles au nord-est de la RDC.

 

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