Qui sont les ‘experts’ ? Les chercheurs locaux méritent plus de droits et de respect
Dans un récent article de blog, Stanislas Bisimwa Baganda a écrit sur la « dynamique de déséquilibre des pouvoirs » entre les chercheurs locaux et les chercheurs étrangers. Il a soulevé un certain nombre de points importants concernant la sécurité, la collaboration et la rémunération qui méritent d’être discutés plus en profondeur. Plus particulièrement, Stanislas nous a mis au défi de déterminer si les chercheurs locaux étaient sous-payés, sous-estimés et exposés au danger par des universitaires étrangers, des travailleurs humanitaires et des membres du personnel de l’ONU.
Stanislas a cité comme exemple le Groupe d’experts des Nations Unies sur la RDC, qui fait appel à des assistants locaux. Ayant siégé au groupe d’experts de 2013 à 2015, je souhaite offrir quelques pistes de réflexion qui expliquent les arguments de Stanislas.
Le Groupe d’experts sur la RDC existe, sous une forme ou une autre, depuis 1999. Le Secrétaire général de l’ONU nomme les « experts » et le Conseil de sécurité définit le cadre de leur travail qui comprend les enquêtes sur les violations des droits de l’homme, le trafic d’armes et la contrebande des ressources. Le groupe est généralement composé de six personnes, dont environ la moitié sont africaines. L'autre moitié vient de l’Europe ou de l’Amérique du Nord.
Au cours des quinze dernières années, chaque groupe d’experts a eu du personnel local qui ont réalisé de multiples tâches entant que traducteur, interprète, fixateur, négociateur, conseiller, commis et chauffeur. Pourtant, les directives des Nations Unies exigeaient que ces personnes soient tous embauchées en tant que ‘chauffeurs’, occultant ainsi officiellement leur importance et garantissant qu'ils étaient sous-payés pour la gamme des fonctions inestimables qu'ils remplissaient.
De plus, bien que la plupart des experts aient eu d'excellentes relations professionnelles et personnelles avec le personnel national, quelques experts les ont très mal traités. J'ai entendu de nombreuses histoires sur un expert qui avait intimidé des employés d’aller dans des zones très instables, en menaçant de leur licencier et de leur bloquer pour tout futur emploi à l'ONU. Le personnel était trop terrorisé pour en parler et, malheureusement, d'autres experts du groupe ont effectivement ignoré le problème, ce qui a fait qu’il perdure des années durant.
Stanislas a souligné le fait que « les chercheurs du Nord ne réalisent pas toujours les risques auxquels ces assistants de recherche doivent faire face lors de la réalisation de ces travaux. Ainsi, peu ou pas de réflexion est accordé aux mesures de sécurité pour ces ‘rares cerveaux qui marchent’ qui effectuent des recherches ». Dans le cas du Groupe, les experts sont - ou devraient être - parfaitement conscients du moment où ils mettent le personnel local en danger. Les experts doivent évaluer les risques pour la sécurité des « chauffeurs » chaque fois qu'ils les envoient en mission ou les emmènent sur le terrain. Et les responsables des experts à New York devraient reconnaître que les employés locaux sont des membres essentiels du Groupe, puis les classer et les rémunérer en conséquence.
Le meurtre de Hamza Katsambya, membre du personnel congolais de l’ONU, donne un éclairage supplémentaire sur l’argument de Stanislas concernant le traitement des chercheurs locaux. En 2013, j'ai travaillé en étroite collaboration avec Hamza qui était interprète pour la MONUSCO (mission de stabilisation des Nations Unies en RDC) à Beni au bureau du programme DDRRR (programme pour le désarmement, la démobilisation, le rapatriement, la réintégration et la réinstallation des ex-combattants). À l'instar des « chauffeurs » travaillant pour le Groupe d'experts, les interprètes travaillant pour le DDRRR s'acquittaient d'une grande variété de tâches difficiles et dangereuses, dont la principal visait à convaincre les combattants locaux de se rendre.
J'ai fréquemment consulté Hamza à propos d'une demi-douzaine de groupes armés alors actifs dans la région de Beni. Hamza et ses collègues « interprètes » sont les véritables experts qui ont pu se rendre dans des endroits inaccessibles aux étrangers comme moi.
Je n’exagère pas combien leur travail était dangereux. Ils ont diffusé des messages à la radio, distribué des pamphlets dans des villages et rencontré des rebelles et des collaborateurs de groupes armés. Les « interprètes » n’avaient qu’un seul objectif : arrêter la violence et mettre fin à la guerre dans la région de Beni. Ils ont également débriefé les rebelles qui se sont rendus et ont obtenu de précieuses informations sur la structure, les activités et le financement des groupes armés locaux. Les informations obtenues par Hamza et ses collègues sont remontées dans les chaînes de la MONUSCO et des Nations Unies à New York, fournissant des données vitales qui ont éclairé la politique des opérations et des décisions sécuritaires.
Hamza m'a aussi aidé à me protéger. À la mi-2013, il m'a présenté à un ancien rebelle endurci et troublé vivant à Beni. Après l'avoir rencontré plusieurs fois, cet homme a demandé de l'argent. Lorsque j'ai refusé de me m’exécuter, il m'a envoyé des messages texte inquiétants. Je me suis tourné vers Hamza pour obtenir des conseils. Il m'a dit qu'il s'en chargerait et il l'a fait, désamorçant la situation.
Un matin de février 2014, un assassin a abattu Hamza près de son domicile à Beni. Le déclencheur et ceux qui l'ont envoyé n'ont jamais été identifiés, mais les Forces Démocratiques Alliées, ou ADF, un groupe de rebelles islamiques se battant alors contre l'armée gouvernementale, en étaient probablement responsables.
La MONUSCO a immédiatement fermé le bureau du DDRRR et a envoyé le personnel au sud, à Goma et à Bukavu. Mais les familles de certains interprètes sont restées à Beni. La veuve de Hamza et quatre jeunes enfants y sont également restés. Le personnel de la MONUSCO a aidé sa famille pendant un certain temps, mais leur soutien a pris fin depuis plusieurs années.
Aussi, les efforts visant à retrouver les assassins de Hamza étaient brefs et beaucoup moins approfondis que les enquêtes internationales sur les meurtres de deux membres du Groupe d'experts en 2017. Un interprète local et trois chauffeurs se sont également retrouvés dans l'embuscade meurtrière avec ces experts, mais leur sort reste inconnu. Bien que les quatre hommes congolais accompagnant les experts américains et suédois ne soient pas des employés officiels des Nations Unies, des chercheurs locaux au Congo ont pris note du manque d'intérêt pour retrouver leurs corps ou pour demander justice par rapport à leur meurtres apparents.
Stanislas a eu raison de soulever « des questions éthiques concernant la sécurité des chercheurs locaux ». Des dynamiques de pouvoir inégales entre les chercheurs locaux et étrangers ont parfois permis l'exploitation de personnel national, à qui on demande de faire un travail que les étrangers ne peuvent ou ne veulent pas faire. En conséquence, le personnel local peut être mal classifié, mal indemnisé, exposé à des niveaux élevés de stress et de danger et même tué. En effet, une balle ne fait pas la différence entre un expert, un chauffeur ou un interprète. L’Organisation des Nations Unies devrait veiller à ce que tout le personnel qui court le danger ait droit aux mêmes protection, droits et respect.