Mongbwalu. Lutter pour la survie et l’environnement, les populations pauvres dans une abondance de l’or

Mongbwalu. Lutter pour la survie et l’environnement, les populations pauvres dans une abondance de l’or

Série de blogs sur les luttes socio-environnementales dans le nord-est de la RDC
17 sept 2021
par Evariste Mahamba et Judith Verweijen
road to Mongbwalu

La route vers Mongbwalu en état de délabrement (Paul Vikanza)

Mongbwalu est une commune rurale située à environ 85 km de la ville de Bunia dans la Province d'Ituri. Elle est riche en or mais aussitôt arrivé sur le lieu, c’est la misère qui se lit sur les visages de la population. Et comme signe de pauvreté, les enfants malnutris sont majoritaires. Certes, le gouvernement ainsi que les entreprises ayant une mainmise sur cette matière première restent indifférents de la souffrance de la population. Ils ne font qu’extraire l’or du sol. Cela sans pour autant implémenter les projets pouvant développer le milieu.

La route qui relie la commune à Bunia reste largement impraticable. Traverser ce tronçon est un véritable calvaire: 85 km se parcourent seulement sur moto. Ce qui prend toute une journée. Les véhicules ne peuvent y accéder qu’après trois ou quatre jours de voyage. Le prix du voyage est aussi extrêmement cher : pas moins de 120,000FC soit plus de $70 pour un voyage en moto, ce qui fait grimper les prix des produits commerciaux.

 

Il est aussi devenu de plus en plus dangereux de parcourir ce tronçon. Depuis début 2020, Mongbwalu a été attaqué à plusieurs reprises par une faction de la milice CODECO nommée Bon temple. Ces attaques ont conduit à des déplacements, compliquant davantage la lutte pour joindre les deux bouts.

 Le festin de l’or 

En langue Nyali, une tribu qui se dit autochtone, le mot Mongbwalu vient de Nangbalu. Cela signifie lieu de festin. Mais la réalité festive causée par l’abondance de l’or n’atteint pas la population. La majorité ne peut pas aller à l’école. Celle-ci est analphabète à 70%. Seuls les enfants de 5 à 10 ans aillent à l’école. Au-delà de cet âge tous les regards sont tournés vers les mines.

La pauvreté actuelle montre que la longue histoire de l’exploitation de l’or à Mongbwalu n’a eu aucun impact durable sur la vie de la population locale. Cette exploitation avait commencé déjà pendant l’époque coloniale. Les Belges avaient construit les mines de « Makala » et « Sincère » ainsi qu’une usine de transformation et un laboratoire–tous les deux détruits pendant les guerres qui on sévit le pays entre 1996 et 2003.

Dans l’époque postcoloniale, la concession à Mongbwalu (concession 40) était entre les mains de l’entreprise minière étatique Office de Kilo Moto (OKIMO), qui avait employé plus de 1,700 travailleurs. En 1996, la concession 40 sera partiellement accordée à une entreprise qui plus tard, en 2003, est devenue AngloGoldfields Kilo (AGK)–une joint-venture d’OKIMO et Anglogold Ashanti. A ce moment la zone autour de Mongbwalu était toujours sous contrôle des milices.  D’après Human Rights Watch, AGK a ensuite développé des liens avec ces milices pour faciliter les opérations de prospection.

Au cours des années, les relations entre AGK et la population de Mongbwalu se détériorent, surtout après l’entreprise chasse des orpailleurs (creuseurs artisanaux) de certaines parties de sa concession. En outre, elle refuse de faire les investissements sociaux, comme bâtir des écoles et hôpitaux.  Même si cela n’est pas obligatoire pour les entreprises d’exploration, la population attend quand même une contribution au développement.

Malgré avoir investi plus de US$520 millions en prospection et développement et avec 70% des équipements mécaniques pour l’exploitation déjà sur place, en 2013, AGK arrête la construction de la mine. Elle invoque plusieurs raisons pour cette décision surprenante : un changement dans ses calculs suite à la chute du prix mondiale de l’or, les couts élevés de la construction et l’épineux problème des milliers d’orpailleurs qui ont envahi sa concession. En 2015, elle cède ses parts à l’entreprise FIMOSA, un consortium des investisseurs congolais,qui va changer le nom du projet en Mongbwalu Gold Mines (MGM).

Au lieu de confronter les orpailleurs, localement nommés « Nzengeneurs », MGM va essayer de cohabiteravec eux. Elle conclut un accord avec quatre coopératives des artisanaux qui sont installées dans des parties de leur concession moins habillées pour l’exploitation industrielle. En contrepartie, elles donnent 30% de leurs recettes au MGM, qui achète aussi leurs minerais. Malgré cette initiative, la cohabitation restera difficile. Elle est compliquée par une forte croissance des orpailleurs depuis l’arrangement avec les coopératives.

Début 2019, l’entreprise australienne Vector Resources entre dans une association avec MGM et Fimosa Capital, obtenant 60% d’une partie de la concession MGM (Adidi Kanga), qu’elle cherche à développer. Ce qui crée des nouveaux risques de confrontation avec les orpailleurs.

Les conflits avec l’entreprise

 MGM n’accepte pas d’activité artisanale dans la zone dite d’exclusion de sa concession, ce qui mène aux conflits. Une femme de la société civile explique :

« La société délimite sa zone et l’appelle zone ciblée, alors les exploitants cherchent aussi à exploiter cette zone dite ciblée. Alors quand les exploitants trouvent de l’or dans les zones non ciblées, la société réclame que c’était sa zone ciblée ».

Ces conflits mènent les orpailleurs à marcher de temps à temps pour manifester leur colère et réclamer leurs droits. En juillet 2015, plus de 3,000 orpailleurs sont descendus dans la rue pour protester contre la décision de MGM de déloger la carrière appelée « Mondial » par force. En février 2017, la saisi par MGM d’environ cent sacs de minerais produits par les creuseurs va provoquer une autre manifestation, qui sera réprimée dans le sang. Des policiers commis à la sécurité de l’entreprise ont tiré des balles pour disperser la foule, blessant quatre personnes.

Une autre source des tensions est la faible contribution de MGM au développement socio-économique du milieu. Selon un leader local « MGM essayait de construire [des sources d’eau potable], néanmoins il surévaluait le travail. Pour une source, il vous dit, autant de milles dollars alors que chez nous ici, avec même 800 dollars, nous pouvons construire une source ».

En mars de l’année en cours, les organisations de la société civile et les jeunes leaders de Mongbwalu ont demandé le départ de la société, invoquant sa contribution négligeable à l'emploi et le non-respect de son accord avec la communauté locale autour des investissements sociaux. De plus, au lieu de développer l’exploitation minière industrielle, elle continue à acheter de l’or aux mineurs artisanaux.

dried up river[1]

Fleuve asséché grâce à l’activité minière (Paul Vikanza)

L’or et le problème écologique

Les différentes entreprises minières qui ont changé de nom jusqu’à devenir MGM aujourd’hui ont dénaturé la flore. A Kpamgba, une colline située au Sud-est de la cité de Mongbwalu, les mines ont chassé les roseaux, pourtant une végétation dominante dans la zone. Ici s’observe aussi le déboisement des forêts désordonné afin de placer les mines. La surutilisation du mercure par les orpailleurs pour rassembler l’or dans les minerais est un autre problème écologique. « C’est ainsi que vous trouverez le mercure vendu ici et là et son utilisation n’est pas règlementée » selon un observateur.

 

Par ailleurs, le système « sous-courant » pratiqué par les artisanaux, qui consiste à déplacer les lits des rivières et boucher les caniveaux, pollue les eaux et crée des inondations dans différents villages. Selon un membre de la société civile : « Tous les cours d’eau sont remplies de boue. Même l’ITURI [le fleuve] n’a plus le respect de l’eau, c’est du sable. Beaucoup de cours d’eau ont abandonné leurs lits, donc nous perdons même les poissons »

L’exploitation de l’or dans des mines souterraines cause souvent des éboulements de terre qui tuent de plus en plus les creuseurs artisanaux. Ces incidents ont surtout lieu en temps de pluie abondante. Grâce au changement climatique, ces périodes de pluie diluvienne sont devenus de plus en plus fréquent, ce qui montre les enjeux mortels des problèmes écologiques.

Tous ces problèmes soulèvent la question de la responsabilité de l’entreprise, qui achète l’or des orpailleurs. « Elle aussi ne se soucie pas de l’environnement. Ils cherchent à encadrer les artisanaux au sein des coopératives mais ces coopératives aussi maitrisent mal la protection de l’environnement. Ce qui fait que MGM est aussi un poumon de la destruction de l’environnement dans ce milieu » dit un membre de la société civile.

Entre le marteau et l’enclume

Malgré les efforts de la société civile de diminuer l’impact destructif de l’exploitation de l’or sur l’environnement et de promouvoir le développement socio-économique, il y a peu d’avancées. L’entreprise se cache derrière les coopératives et dit qu’elle n’a pas la mainmise. Les creuseurs se focalisent sur leurs survies, ne se sentant pas responsables pour le développement ni l’environnement.

On constate également un manque d’action du côté des autorités nationales. Lorsque l’arrivée de Vector Resources est une opportunité pour améliorer les choses, contrat qu’ils ont signé avec MGM et Fimosa Capital n’est pas rendue publique, ce qui inquiète.

A causes de ces intérêts établies, ceux qui luttent pour le changement vont toujours rencontrer de la résistance. Un membre de la société civile explique :

« Il y a plus de menaces, c’est grâce à Dieu que nous n’avons rien subi de mal. Il y a les artisanaux eux-mêmes. Quand nous leur disons qu’après l’exploitation ils doivent couvrir ces trous, ils nous prennent pour des intimidateurs. Il y a aussi des services de l’État qui cherchent à museler notre liberté d’expression. Ils ne veulent pas qu’on en parle pour leurs intérêts. »

Malgré ces menaces, la société civile continue ses activités de plaidoyer, tout en espérant qu’un jour les populations de Mongbwalu puissent elles aussi participer au « festin d’or » dans un écosystème sain et restauré.

 

Ce blog fait partie d'une série de blogs sur les luttes socio-environnementales dans le nord-est de la RDC

Evariste Mahamba est journaliste, écrivain, chercheur et expert-formateur en matière de communication pour le changement de comportement. Il a mené des recherches et écrit plusieurs articles sur le développement, la sécurité et les conflits liés aux aires protégées et l’exploitation des ressources naturelles dans l’est de la RDC. Il a également dirigé plusieurs formations sur le journalisme et le management et marketing des radios communautaires.

Judith Verweijen est maître de conférences au département de sciences politiques et relations internationales  à l'Université de Sheffield. Ses recherches portent sur l’interaction entre la violence, les conflits autour des ressources naturelles et la mobilisation sociale. Elle se focalise sur l’est de la République démocratique du Congo, où elle a mené des recherches de terrain depuis 2010.

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