Faire les sociétés forestières en RDC respecter la loi : mission impossible ?

Faire les sociétés forestières en RDC respecter la loi : mission impossible ?

Série de blogs sur les luttes socio-environnementales dans le nord-est de la RDC
15 Novembre 2021
par Judith Verweijen
IFCO logs in harbour (1)

Grumes d’IFCO dans le port de chargement

L’exploitation industrielle du bois en République Démocratique du Congo est controversée. Selon les
partisans, elle contribue au développement des
communautés locales et une gestion durable des forêts. Pour les  opposants, cependant, les bénéfices pour les populations locales sont négligeables ou inexistants et ce type d'exploitation n’assure pas la préservation de la forêt à long terme. En fait, beaucoup affirment qu'elle nuit à la conservation des forêts et donc aux moyens de subsistance des communautés qui en dépendent.

 

Le nœud du problème c’est le respect et l’application de la loi. En théorie, la RDC a des lois forestières qui assuraient une exploitation forestière relativement durable et qui prend les droits et les intérêts des communautés locales en compte. Malheureusement, ces lois souffrent de l’application totale, ce qui rend l'exploitation forestière destructive et les communautés perdantes.

Selon le code forestier dans son article 89, chaque exploitant forestier industriel doit signer un cahier des charges avec les communautés affectées par l’exploitation de bois. Celui-ci contient des clauses générales qui précisent les conditions techniques relatives à l'exploitation et des clauses particulières. Parmi ces dernières il y a des clauses relatives à la réalisation d'infrastructures socio-économiques au profit des communautés, y compris la construction et l’aménagement des routes et des installations hospitalières et scolaires, des travaux dont la réalisation et financement sont en principe la responsabilité de l’État congolais. L’exécution de la clause sociale est organisée et suivie par un Comité local de gestion (CLG) et un Comité local de suivi (CLS), qui opèrent au niveau des groupements (entité de l’administration locale).

Face aux entreprises qui veulent minimiser les dépenses sociales et maximiser leurs recettes, les membres de ces deux comités qui prennent leur mandat au sérieux font face à une bataille difficile. Parfois ils sont intimidés par les représentants ou partisans de l’entreprise ou leur travail est bloqué par les acteurs politiques ainsi que l’administration forestière. Ils sont aussi régulièrement entraînés dans des conflits locaux. Malgré ces difficultés, ils continuent à lutter courageusement pour que la loi soit respectée. Le cas de la société Industrie forestière du Congo (IFCO) démontre bien l’importance de ces efforts.

Une entreprise controversée

L’IFCO est une entreprise de l’exploitation du bois qui opère deux concessions en RDC, dont une dans la province de Tshopo dans les territoires de Bafwasende et Banalia, où elle détient le contrat de concession N° 018/11. Auparavant, cette concession était entre les mains de Trans-M, une entreprise crée par l’homme d’affaires Libanais Ahmed Tajideen. En 2010, l’entreprise Congo Futur, dont Tajideen était également le propriétaire, a été placée sur la liste des sanctions des États-Unis à cause des présumés liens avec des financiers de Hezbollah. La suspicion de liens continus avec Congo Futur aurait incité la société, alors connue sous le nom de Cotrefort, à transférer ses concessions en 2018 à IFCO, dont les propriétaires sont inconnus. Toutefois, en ce qui concerne le personnel et les opérations, peu a changé.

Dans un briefing publié en 2019, Global Witness accuse l’entreprise de plusieurs irrégularités, notamment, coup hors périmètre, non-paiement des taxes (notamment taxe de superficie), non-respect pour et absence des clauses sociales et violations du code de travail. En réaction à dudit briefing, la Fédération des Industriels du Bois (FIB), l'organisation faîtière de l'industrie du bois en RDC dont IFCO est membre, nie catégoriquementles faits. Tout en admettant qu'au début de l'année 2018, IFCO a été suspendu par le gouverneur de la province de la Tshopo pour non-paiement des taxes, manque de respect des clauses sociales et violations du code du travail, elle affirme que cette suspension a été rapidement levée.

Tiraillement autour des clauses sociales

Selon les membres des différents comités de gestion locaux de la concession d'IFCO et ses prédécesseurs, de nombreux problèmes se sont effectivement posés en ce qui concerne la gestion et l'exécution des clauses sociales. Ces problèmes seraient le résultat d’un manque de volonté de l’entreprise, une main noire de politique et de l’administration forestière ainsi que des conflits de pouvoir entre et au sein de groupement Bevenseke.

La première clause sociale a été signée avec le groupement Bevenseke en aout 2011 pour la période 2011-2014. Toutefois, l’exploitation avait commencé déjà en 2010. « Alors ils ont remis $51,000, un montant forfaitaire, au chef de groupement pour avoir exploité en 2010. Une bonne partie de cet argent a été utilisée pour acheter des biens à l'usage personnel et une partie a disparu. C’est le début du conflit » témoigne un membre de CLG. Dans ces circonstances, il n'est pas surprenant que plusieurs des projets d'infrastructure prévus n'aient jamais été réalisés.

Dans le groupement voisin de Boumbwa, la première clause sociale n’a pas été entièrement réalisée non plus. L’entreprise a voulu revoir les fonds de développement à la baisse, eu égard à la faible production durant l’exercice 2011-2012 selon leurs déclarations. C’est pourquoi elle a proposé un avenant à la clause, qui a également prévu la substitution d’une partie des infrastructures communautaires envisagées par des biens destinés à l'usage personnel des autorités et d’autres leaders locaux. Cet avenant a finalement été signé de manière précipitée et avec un manque de transparence, sans participation des experts pour conseiller les communautés.

Selon des observateurs, la baisse de production déclarée est douteuse. Dans les années suivantes, la société a demandé à l’administration forestière l’autorisation d’évacuer les bois laissés en forêt en 2011 et 2012 alors que la société avait déclaré qu’il y a eu baisse de production. C’ est ainsi qu’un flou se crée. Enfin la société avait eu cette autorisation et les bois étaient sortis.

La troisième clause sociale, signée en novembre 2019 avec les groupements Bevenzeke, Bangba et Boumbwa, n’a pas été épargnée des tiraillements non plus. Selon les communautés du groupement Bevenzeke, le groupement  Boumbwa n’a rien comme forêt, ce qui a créé un conflit autour des fonds de développement entre ces deux groupements. Il sied de souligner la non-participation des communautés lors des études de base, la cartographie et d’autres étapes avant d’aboutir au plan d’aménagement, qui sert comme base pour la clause sociale. Ainsi, si les représentants de la société invoquent souvent les conflits locaux pour expliquer le retard pris dans la mise en œuvre des clauses sociales, ces conflits sont aussi en partie le résultat de l'incapacité de l'entreprise à organiser des processus de gestion véritablement participatifs.

 

IFCO logs (1)

Le port de chargement d’IFCO sur la rivière Lindi.

 

Des menaces et conflits

Certains membres du CLG disent avoir découvert en 2017 que l’entreprise était en train de couper en dehors l’Assiette Annuel de Coupe, la superficie désignée d’être exploitée selon le plan d’aménagement de la concession. D’ailleurs elle aurait abandonné ces grumes en forêt au lieu de les évacuer-des allégations qui, selon les représentants de la société, sont fausses.

 

 

En réaction, la communauté sur place a barricadé la route à Alimbuku « nous avons dit, comment pouvez-vous délocaliser ? C’est-à-dire que vous ravagez notre forêt sans que nous puissions en bénéficier » explique un témoin. Ils ont également saisi le ministère provincial de l’environnement de cette situation. En revanche, selon eux, le directeur de la société est allé les accuser auprès du ministre des affaires intérieures en disant qu’ils étaient « des incitateurs de la communauté » qui étaient à la base d’un « manque à gagner » pour les communautés locales.

Selon nos interviewés, la société est réputée d’éviter de rendre des comptes par trafic d’influence auprès des autorités tant locales, provinciales que nationales. Ces autorités créent ensuite des obstacles qui empêchent les membres du CLG de faire leur travail, y compris les menaces, les arrestations et même les poursuites. Comme l’un d’entre eux témoigne : « Nous sommes plus visés étant donné que nous défendons les droits de cette forêt. Nous constatons que dire la vérité est devenue un problème ».

L’entreprise travaille aussi étroitement avec les services de sécurité.  Ses sites d’exploitation sont gardés par les militaires au lieu des policiers. Certains membres du CLG estiment que c’est une stratégie d’intimidation : « Ce n’est pas autorisé. Alors c’est une façon de nous intimider. Quand on voit les militaires alors vous n’avez rien à dire ».

D’autres menaces viennent des autorités locales. C’est à ce niveau que les conflits locaux commencent à jouer un rôle, notamment le conflit autour du pouvoir coutumier du groupement de Bevenzeke. Comme les membres des deux camps étaient représentés dans les comités de gestion et de suivi, ces deux organes sont devenus le théâtre d’une guerre. Sans pouvoir dire que ces conflits sont directement allumés par la société, ils lui sont clairement utiles. Ils empêchent une position unifiée auprès des comités de suivi et de gestion, ainsi minant leur travail et efficacité.

Empêcher la destruction de la forêt

Toutes ces difficultés n’ont pas démotivé les défenseurs de la forêt. Comme l’un d’entre eux explique : « notre premier objectif est de préparer l’avenir de demain, que tout ne soit pas détruit aujourd’hui… nous n’avons pas eu d’école à notre époque, Dieu Merci nous venons d’être bénis par des écoles ; c’est pourquoi nous devons préparer nos enfants. On va bientôt construire une école ici avec les fonds de développement, une école en dur, avec des tôles, et d’autres équipements. Cela pourra amener les enfants à comprendre que la forêt c’est un trésor à protéger, que nous ne devons pas détruire la forêt, elle peut nous procurer beaucoup d’avantages ».

Veiller à ce que les sociétés forestières respectent la loi et les accords qu'elles ont signés restera une lutte sans cesse, dont l'issue est cruciale pour l'avenir de la forêt du bassin du Congo et de ses habitants.

 

Ce blog fait partie d'une série de blogs sur les luttes socio-environnementales dans le nord-est de la RDC

Judith Verweijen est maître de conférences au département de sciences politiques et relations internationales  à l'Université de Sheffield. Ses recherches portent sur l’interaction entre la violence, les conflits autour des ressources naturelles et la mobilisation sociale. Elle se focalise sur l’est de la République démocratique du Congo, où elle a mené des recherches de terrain depuis 2010

 

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