« Chercheur-bailleur » et « chercheur-récipient» : comment surmonter les écarts entre le chercheur du Nord et le chercheur du Sud ?

« Chercheur-bailleur » et « chercheur-récipient» : comment surmonter les écarts entre le chercheur du Nord et le chercheur du Sud ?

13 Mars 2020
par Judith Buhendwa Nshobole
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Judith Buhendwa Nshobole

La réalisation d’une recherche est un long processus qui nécessite l’intégration de tous les chercheurs. Dans un contexte de recherche en équipe, impliquant des chercheurs venus de l’hémisphère Nord et d’autres de l’hémisphère Sud, cette intégration ne se passe pas toujours de façon équilibrée. D’un côté, on observe généralement que les objectifs, les hypothèses et parfois les arguments principaux de la recherche sont établis par les chercheurs du Nord, qui détiennent et contrôlent également l’accès aux moyens financiers. Le terrain ainsi que tous les enjeux politiques, linguistiques, sécuritaires, etc., sont laissés aux mains des chercheurs du Sud car ils maîtrisent mieux la zone de recherche que le chercheur du Nord. Cependant, leur implication dans le processus de recherche plus large reste souvent limitée. Et ce déséquilibre de pouvoir en amont entre « chercheur-bailleur » et « chercheur-récipient» installe aussi des déséquilibres de pouvoir tout au long du processus.

 

 

Au niveau de l’identification des objectifs de recherche tout d’abord, le « chercheur-récipient » est rarement impliqué de manière intensive. L’intérêt de la recherche est souvent déterminé par le « chercheur-bailleur » qui se fixe ses propres objectifs. Souvent, c’est ce dernier qui discute, négocie les contrats, les orientations et les résultats à atteindre lors de la recherche en fonction des indications du bailleur des fonds ; tandis que ces discussions se passent dans des espaces en dehors du « chercheur-récipient». Cet écart dans le rapport de pouvoir entre le « chercheur-bailleur» et le « chercheur-récipient» s’installe aussi au niveau des aspects épistémologiques et méthodologiques du projet.

 

Tout en étant conçue au niveau du Nord, l’élaboration des outils de collecte des données, ensuite, est souvent faite sans prendre en compte l’expertise du « chercheur-récipient». Lors de la mise en oeuvre, ce chercheur recevra alors des directives qu’il aura à adapter sur le terrain. Souvent, son expertise de terrain n’est pas prise en compte dans cette phase non plus. Il existe des zones hypersensibles où l’on ne peut pas poser n’importe quelle question à n’importe qui. Cependant, l’élaboration d’un guide d’entretien trop rigide peut empêcher le « chercheur-récipient» d’y insérer sa propre couche.

 

Après le terrain, alors, le « chercheur-bailleur » attend les résultats et le rapport pour aller poursuivre le processus. Mais quelle est ici la mise en valeur de l’expertise du « chercheur-récipient » après la soumission de son rapport ? Ne devrait-on pas lui accorder la possibilité de faire partie des étapes suivantes après soumission de son rapport ? Peut-être préférerait-il figurer dans la publication pour ne pas rester dans l’ombre. Une telle visibilité pourrait aussi lui ouvrir plusieurs portes et lui permettre de progresser.

 

D’ailleurs, lors de la récolte des données, les personnes enquêtées ou interviewées demandent parfois qu’il y ait un feedback : « Comment les données que nous avons fournies seront utilisées après ? » Voilà une question souvent posée par les répondants sur le terrain. Parfois le « chercheur-récipient » n’a pas de réponse car, après la récolte des données et la soumission de son rapport de terrain, son boulot a été clôturé. Et dans le cas où il se montre audacieux en répondant aux attentes des communautés sur la suite des données, il se contente parfois de dire : « Nous attendons encore le programme de nos partenaires du Nord ». Le plus souvent, les « chercheurs-bailleurs » s’en vont alors que les « chercheurs-récipients » pourraient encore travailler avec les mêmes personnes à l’avenir. Un manque de redevabilité envers les populations dans les projets précédents peut mener à ce que les chercheurs locaux ne soient pas bien reçus dans la même zone car considérés par les habitants comme ceux qui viennent chercher les données pour aller s’enrichir.

 

En résumé, la prise en compte des savoirs et expériences des différents chercheurs serait un atout très important si les deux parties étaient intégrées dans le processus dès l’identification des objectifs de recherche, l’élaboration du questionnaire, la collecte des données, l’analyse et dissémination des résultats collectés. Les objectifs et les moyens financiers peuvent provenir du Nord. Mais dans la mise en oeuvre de la recherche, les deux parties devraient se compléter dans la réalisation de l’étude.

 

 

Judith Buhendwa Nshobole est assistante à l’ISDR Bukavu et chercheuse au Projet Land Rush et à Angaza Institute

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