Le jour qu’un armé guide s’impose : Naviguer comme chercheur dans le terrain conflictuel

Le jour qu’un armé guide s'impose : Naviguer comme chercheur dans le terrain conflictuel

10 Septembre 2020
Eric Batumike Banyanga
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Eric Batumike Banyanga

Sur un terrain de recherche où règnent les conflits de différentes natures et où les rapports des forces entre les acteurs en conflit sont tendus, le récolteur d’informations doit faire extrêmement attention. Le simple fait d’être présent, ou de poser des questions sur un certain sujet peut créer un conflit et /ou le renaitre. Même si on essaie de respecter les règles éthiques à la lettre, souvent la complexité du terrain le rend difficile à deviner ce que sera l’impact directe et indirecte de sa présence sur le terrain. Il est donc impérieux que le chercheur comprenne au mieux les dynamiques autour de son terrain de recherche afin de pouvoir anticiper d’éventuelles difficultés, et de mieux interagir avec les complexités quand elles se produisent. Il devra alors à tout moment savoir négocier son accès et sa sortie sur ce terrain.

 

Quand je faisais une enquête à MUKUNGWE au Sud-Kivu, en 2018, les parties en conflit voulaient que je leur montre ce qu’avait dit l’autre partie sur eux. De ma part, je l’estimais impossible vu que ça allait exposer ceux qui m’avaient livré des informations. Mais par la suite, mon refus de dévoiler mes sources et les contenus de nos premières conversations a mené vers une situation où on m’a confié un guide armé le jour suivant. Le discours semi-officiel de l’autorité non étatique (leader influent d’une famille d’exploitants miniers) qui me l’avait enjoint était décidé que je devrai avoir besoin d’un guide qui allait m’orienter sur terrain, mais également assurer ma sécurité pour que rien de mauvais ne m’arrive. Cependant, la première journée avec lui, ce guide ne me laissait pas seul pour m’entretenir avec ces creuseurs artisanaux. Ce qui faisait que les interviewés ne voulaient pas se prononcer par rapport à certaines questions. Cette réticence était due à la crainte des représailles qui pourraient s’en suivre après mon passage. Il fallait, alors, changer le mode opératoire. J’ai approché mon guide et lui ai demandé s’il pouvait me laisser parler seul avec les creuseurs afin qu’ils me parlent objectivement. Celui-ci a accepté après une longue négociation. En réalité, il l’accepta après lui avoir promis une motivation pécuniaire. Poursuivant d’autres entrevues, il accepta de s’éloigner du puits à chaque entretien. Les interviewés ont alors commencés à me révéler les informations importantes.
Lors de cette situation, j’ai eu de la chance que j’ai pu négocier une solution ‘élégante’. J’ai pu respecter le souhait de l’autorité de pouvoir quelque part contrôler mes mouvements sur place à travers le fait d’avoir respecté la présence de mon ‘guide-espion’. Et des fois, sa présence était même utile pour me diriger aux bons lieux. En même temps, j’ai pu négocier son éloignement lors des entretiens réels. Il est sûr que le fait d’avoir été accompagné a influencé la façon dont les creuseurs me parlaient ; en même temps, le contenu de nos conversations me laisse quand même conclure qu’ils se sont sentis relativement libres à s’exprimer. En même temps, la situation aurait pu se terminer beaucoup pire. J’aurais pu être confronté à un refus catégorique de mon ‘guide’ et été obligé de terminer mes activités de recherche ; ou j’aurais pu continuer le travail en sa présence mais sans récolter des données utiles.
Effectivement, le terrain conflictuel impose beaucoup de défis et dilemmes éthiques. Et, comme chercheur, on s'y retrouve régulièrement très seul. Souvent on fait face aux défis sans qu'on ait un cadre dans lequel on peut demander conseil à ses pairs. Et néanmoins, les responsabilités du chercheur sont complexes. Il est impérieux que les chercheurs trouvent une arène où aborder de tels enjeux vitaux pour leurs recherches. Dans l'échange, on peut tout d'abord chercher du soutien pour ses propres préoccupations et dilemmes; et aussi échanger avec d'autres sur leurs défis. Mais surtout, nous pourrions y créer un réseau dans lequel le chercheur trouve de l'appui sur le plan moral en cas de situations difficiles.

 

Eric Batumike Banyanga est un chercheur au Groupe d’Étude sur le Conflit et la Sécurité Humaine (GEC-SH), Bukavu.

 

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