La présence de la « peau blanche » : défis liés aux attentes de la population face à la présence des chercheurs blancs sur le terrain

La présence de la « peau blanche » : défis liés aux attentes de la population face à la présence des chercheurs blancs sur le terrain

8 September 2020
Élisée Cirhuza Balolage & Esther Kadetwa Kayanga
elisée esther

 

Croiser les regards est un enrichissement dans le travail scientifique. Faire des recherches en équipe – d’autant plus si l’équipe est composée de chercheurs divers en termes de discipline, de genre et d’origine – peut alors être une expérience très riche. Nous avons plusieurs fois témoigné de cette richesse dans notre travail. Dans certains de ces projets, l’implication des chercheurs du Nord restait invisible dans le travail de terrain. Dans d’autres projets, ces chercheurs étrangers ont participé à la récolte des données. Même si pouvoir croiser les perspectives sur le terrain offre des opportunités, la présence de la « peau blanche » (ou encore des blancs) amène aussi des défis.

 

Comme nous l’avons indiqué, la présence d’un chercheur du Nord, avec une peau blanche, peut dans certains changer la manière dont on est accueilli sur terrain, et faciliter l’accès au terrain ou aux données, et permettre d’accéder à des cercles qui souvent restent fermés. La présence d’un blanc semble incarner une certaine autorité ou pouvoir qui peut briser certaines limites ou barrières physiques et mentales. Ainsi, pendant une recherche sur la production agricole dans un village de l’ancienne Province Orientale en RDC, on a remarqué les différences entre une première phase qui était menée en équipe de chercheurs locaux et la deuxième phase de la même recherche, durant laquelle une équipe hétérogène de chercheurs locaux et internationaux a été déployée. Pendant la première phase, le garde des autorités auxquels nous voulions présenter nos civilités nous a dit : « Ce sont les étudiants, laissez-les d’abord là. Vous pensez qu’ils nous ont apporté quelque chose ? ». En présence des chercheurs internationaux, le langage changeait immédiatement : « Laissez-les vite entrer. Nous allons les écouter. Vous ne voyez pas qu’ils sont avec les blancs ? ». Dans d’autres cas, la présence des chercheurs blancs peut être prise comme un encouragement sur le plan sécuritaire. Comme un de nos répondants nous disait dans le territoire de Walungu, en Province du Sud-Kivu : « O’murhulaguishe, o’muzungu arhaja aharhali o’mhurula, ntacily’o ivita l’ya ciba » (« La paix est en train de revenir, le blanc n’arrive pas dans les zones insécurisées, leur présence signifie qu’il n’y aura plus la guerre »). Dans bien d’autres cas, la présence du chercheur blanc amène beaucoup de complications supplémentaires, surtout liées aux perceptions que les acteurs de terrain attachent à sa présence. Souvent, cette présence augmente la visibilité du projet de recherche et les enjeux y associés. Pour les autorités, cette présence peut offrir une occasion pour manifester leur pouvoir et position. Pour la population locale, ces chercheurs incarnent plusieurs craintes : ils peuvent être considérés comme des agents de renseignement pour le compte des États étrangers ou des entreprises minières, ou simplement des pilleurs de ressources naturelles. Ce qui risque de produire de la méfiance et de l’insécurité.

Mais le chercheur blanc est aussi très souvent associé aux agents de développement ou à la présence de « beaucoup de moyens financiers », ce qui peut aussi compliquer la navigation sur le terrain. Dans de tels contextes, les chercheurs ne sont pas considérés comme de seuls chercheurs, mais plutôt comme des bailleurs de fonds qui réveillent plusieurs attentes au sein des sujets ciblés par la recherche. Une conséquence pourra être la réticence ou le refus de partager des informations sans contrepartie financière. Comme on l’a vécu pendant des recherches à Kalehe où des répondants nous disaient : « Muyishe rhuyunvirize aba bantu bama hik’enomunda na bazungu lero. Nkaba ntacho barhulerhere lero rhurha derha nabo. Rhwana baleka bajire é’byabo bone. Omuzungu arhaka hik’enomunda, banave barhubwira oku ntacho arhulerhere » (« Venez, nous allons écouter ces gens qui viennent d’arriver avec des blancs. S’ils ne nous apportent rien cette fois-ci, nous n’allons pas leur parler. Nous allons les laisser travailler seuls. Un blanc ne peut pas arriver ici sans nous avoir rien apporté »). Et quand ces répondants sentaient qu’il n’y aurait pas de projet ni d’argent lié à la recherche, ils disaient : « Pas d’intérêt ici, partons. Nos frères ici [nous, les chercheurs locaux] qui les ont amenés, ont déjà eu leur part depuis longtemps ». Dans certains cas, cette déception de la part des populations peut mener à des menaces envers les chercheurs locaux considérés comme responsables du fait que « les blancs n’ont rien laissé sur le terrain ». Dans d’autres cas, ce sont les participants à la recherche même qui sont menacés pendant ou après la période de collecte de données. Comme un assistant de recherche en a témoigné : « Nous étions venus nous entretenir avec un habitant du village. Quelques jours après, en repassant dans ce village, j’ai appris que les interviewés avaient été visités par des voleurs qui voulaient l’argent que les chercheurs leur avaient laissé ».

Et finalement, la présence de chercheurs blancs peut aussi provoquer des conflits avec les intellectuels (élites) du milieu d’étude qui n’ont pas été associés dans le projet de recherche. Dans certains cas, ils peuvent se retourner contre les chercheurs locaux qu’ils pourraient considérer comme les responsables de leur exclusion. Ainsi, même si la collaboration avec les chercheurs blancs peut offrir beaucoup d’avantages, elle inclut aussi des défis qui risquent de compromettre le projet de recherche ainsi que les chercheurs eux-mêmes. La présence des chercheurs du Nord, souvent à la peau blanche, peut être la source d’insécurité et de menaces pour les différentes parties prenantes au projet de recherche. Il est dès lors crucial de se rendre compte de ces complexités dès le départ afin de pouvoir minimiser tout risque autant que possible. Il est important de bien expliquer ce qu’implique la présence des chercheurs sur le terrain et d’essayer de gagner la confiance des populations et des autorités par le dialogue. Et quand les choses ne se passent pas comme prévu, il est impératif que le chercheur local ne soit pas laissé seul devant ce défi. Effectivement, après le départ de la « peau blanche », c’est souvent le chercheur local qui doit retourner sur le terrain et faire face aux réactions de la population.

 

 

Elisée Cirhuza est un chercheur et gestionnaire de programme au Groupe d’Étude sur le Conflit et la Sécurité Humaine (GEC-SH).  Contactez l'auteur sur cirhuelisee (at) gmail.com

Esther Kadetwa est assitante  à l'Institut Supérieur de Développement (ISDR-BUKAVU)

 

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