Avant d’être combattantes, nous sommes des femmes

Pluto

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Avant d’être combattantes, nous sommes des femmes

Interview avec Femme ex-combatante #4, Goma, 9 août 2022

Par Britt Werelds & Alice Mugoli Nalunva

Les expériences des ex-combattantes dans le processus DDR au Nord et au Sud-Kivu.

Contexte

En République démocratique du Congo, en général et particulièrement dans les provinces du Nord et Sud-Kivu, les femmes font partie des groupes armés. Les femmes combattantes peuvent jouer un rôle de soutien ou sont déployés dans le cadre du conflit armé. Bien que les combattantes soient activement engagées dans les groupes armés, elles restent largement invisibles. Elles sont souvent négligées dans les initiatives de consolidation de la paix. Ainsi, les programmes de Désarmement, Démobilisation et Réintégration (DDR) des combattants ont souvent tendance à ne pas tenir compte des besoins spécifiques des femmes.

Les femmes démobilisées des groupes armés, ont vécu différentes expériences aussi bien dans les groupes armés que dans la vie civile après leur réintégration. Il est important d’examiner leurs expériences afin de les soutenir au mieux dans leur processus DDR. Dans les paragraphes qui suivent, seront présentés et analysé les points de vue des femmes ex-combattantes qui ont participé à notre étude.

 

Les expériences des femmes ex-combattantes dans les groupes armés au Nord et Sud-Kivu

 L’intégration des femmes dans les groupes armés est volontaire pour certaines tandis que c’est une contrainte pour les autres. Celles qui ont volontairement intégré les groupes armés présentent des raisons différentes telles que la vengeance, l’indignation contre les agressions de leurs entités, alors que d’autres y adhèrent à cause de la passion qu’elles ont pour le métier des armes. Les rôles des femmes dans les groupes armés sont divers. Les rôles ou la position de la femme dans un groupe armé dépendent de ses compétences, de sa relation entretenue avec les seigneurs de guerre ainsi que ses objectifs. C’est ainsi que certaines combattantes s’occupent des tâches ménagères alors que d’autres occupent des postes de commandement, comme une des femmes nous a expliqué : « J’étais combattante au même titre que les autres combattants. S’il faut aller au front, s’il faut faire la patrouille, s’il faut faire d’autres activités pour la sécurité des paisibles citoyens, j’étais prête à le faire avec les autres combattants » (interview avec femme ex-combatante #7, Bukavu, 20 août 2022). D’autres femmes avaient des fonctions de haute responsabilité, malgré les inégalités observées au sein des groupes armés.

Il est important d'examiner les expériences vécues par les femmes combattantes dans les conflits armés, parce que la dynamique des conflits est genrée et vécue différemment par les hommes et par les femmes. Parlant de l’égalité de sexes dans les groupes armés, certaines combattantes ont subi un traitement positif de leurs supérieurs tandis que pour d’autres, elles jugent le traitement négatif sur base de leur genre. Les femmes qui occupent des rôles inférieurs à ceux des combattants masculins sont souvent maltraitées, considérées comme des personnes indignes et souvent abusées par les combattants masculins. En dépit de tout, certaines femmes ont bénéficié de certains privilèges comme gagner des moyens financiers et être protégé au front :

Quand nous sommes au front, les femmes sont placées dans les espaces moins dangereux par rapport aux hommes. C’est-à-dire que les femmes sont les moins exposés au danger par rapport aux hommes dans le groupe armé. (Interview avec Femme ex-combatante #5, Goma, 13 août 2022)

On a constaté que les femmes qui ont subi un traitement positif ne sont pas nécessairement celles qui ont rejoint le groupe armé volontairement et les femmes marginalisées ne sont pas toujours celles qui ont été recrutées de force. Comme le montre le témoignage d’une ex-combattante qui a volontairement rejoint un groupe armé pour participer aux combat :

En arrivant, les combattants hommes ne nous traitaient pas comme il fallait ! Ils ont commencé à nous traiter comme leurs femmes au lieu de nous traiter comme collègues de service. Certains combattants étaient séparés de leurs femmes et avaient ainsi voulu que nous prenions cette place, chose qui était difficile ! Quand nous avons résisté et refusé cette proposition des combattants, ils ont commencé à nous harceler sexuellement, physiquement et moralement. (Interview avec Femme ex-combatante #3, Bagira (Bukavu), 9 août 2022)

 

Les femmes ex-combattantes, le DDR et la société Congolaise

 Le processus de Désarmement, Démobilisation et Réintégration (DDR) a été vécu de différentes manières par les femmes combattantes. Etant donné que nous avons rencontré celles qui se sont démobilisées d’elles-mêmes, les autres ont participé officiellement aux programmes DDR. La principale raison pour laquelle les femmes se sont démobilisées avec l'aide d'un programme de DDR était d'être "officiellement" démobilisées. Les femmes qui se sont auto-démobilisées - c'est-à-dire qui n'ont participé à aucun programme de DDR - l'ont souvent fait parce qu'elles ne voulaient pas attendre le début d'un programme de DDR.

Les programmes de DDR sont axés sur le combattant masculin et partent du principe que tous les membres d'un groupe armé ont une expérience commune. Cela exclut les membres féminins d'un groupe armé et ne tient pas compte de leurs besoins. Les femmes dans les centres d’orientation et de transit font face aux problèmes financiers, mais surtout sanitaires :

La première difficulté c’était le traitement dans le centre de démobilisation. Il n’y avait vraiment pas de focus sur les femmes en particulier alors que la femme est naturellement fragile. On n’avait pas de savon de lessive, non plus de savon de toilette. Chose étonnante, il n’y avait que deux bassins et un seau pour plus de vingt femmes ? [...] A part cela, il y avait un problème lié au manque des moyens. Nous ne sommes plus dans la brousse où nous pouvons facilement trouver de l’argent même auprès de la population. Donc, nous étions là et avons beaucoup souffert pendant ce temps. (Interview avec femme ex-combatante #10, Bukavu, 7 septembre 2022).

En quittant le centre de transit pour vivre dans la communauté, elles font encore une fois face à divers problèmes liés à la réintégration. Elles rencontrent des difficultés à trouver un emploi et à retrouver de bonnes relations avec les membres de la communauté. Les combattantes qui quittent un groupe armé abandonnent également leur principale source de revenus. Les contraintes économiques peuvent laisser aux femmes peu de possibilités de créer une nouvelle vie. Certaines d’entre-elles ont eu l’impression de ne pas être bien accueillies dans leurs communautés :

Il m’a fallu beaucoup de temps pour que je sois la bienvenue dans la communauté. Quand une femme quitte l’armée pour la vie civile, elle est trop regardée par la communauté et tout le monde veut suivre sa vie même à distance. Les gens font le suivi de tout ce que tu fais désormais, ils étudient tes comportements, et cela n’était pas du tout facile au début. Je suis arrivée dans la communauté et je suis restée timide pendant plus ou moins six mois avant que je ne me retrouve dans ma vie civile... il fallait donc du temps pour que je sois acceptée (interview avec femme ex-combatante #5, Goma, 13 août 2022).

Quand elles fournissent des efforts pour leur acceptation, elles y arrivent progressivement avec le temps. Néanmoins, la minorité n’a pas affronté le problème d’acceptation. D’autres se sentent écartés et abandonnés par la communauté parce qu’elles sont considérées et qualifiées des « femmes difficiles » par la communauté. Intégrer un groupe armé évoque parfois une certaine image d’une femme qui se comporte de manière défavorable et qui est liée à des pratiques de prostitution.  Cela renvoie à un problème social plus large, celui de la reconnaissance publique des femmes combattantes.

La situation de non acceptation des ex-combattantes dans la communauté, pousse les organisations à travailler afin de capitaliser différents moyens pouvant aider pour la réintégration durable des femmes. C’est le cas d’une organisation qui met en place les groupes de sociothérapie, dans le but de faire renaitre la confiance entre les civiles et les ex-combattants. Ils le font aussi pour ouvrir les deux catégories à avoir accès aux besoins sociaux.

Pour conclure, la mobilisation armée est une expérience genrée, ce qui implique la nécessité d'une approche genrée de la démobilisation. Par conséquent, pour réussir à réintégrer les combattantes dans la vie sociale, les programmes de DDR devront bien comprendre l'expérience des femmes dans les groupes armés et les défis auxquels elles sont confrontées lors de leur retour. Bien que les combattantes participent aux groupes armés dans l'est de la République Démocratique du Congo, elles restent pour la plupart invisibles dans les initiatives de DDR et elles sont confrontées à des défis différents lorsqu'elles retournent dans leurs communautés. Il est donc nécessaire de mettre en place un programme de DDR qui prenne en compte le point de vue des femmes combattantes et se concentre sur la cohésion sociale et le retour durable.

Alice Mugoli Nalunva est une chercheuse au groupe d'études sur les conflits et la sécurité humaine (GEC-SH) depuis 2017. Elle est de nationalité Congolaise et elle habite au Sud Kivu. Elle se focalise surtout dans le domaine de la gouvernance foncière, les dynamiques urbaines et le genre dans les programmes DDR

Après avoir obtenu un master en sciences économiques à la KULeuven, Britt Werelds a obtenu un master en Conflict and Development (conflits et développement) à l'UGent. Dans le cadre de ces études, elle a effectué des recherches sur les expériences de mobilisation, de démobilisation et de réintégration des femmes combattantes dans l'Est de la République démocratique du Congo.

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