De prof respectée vers maman en précarité : Survivre en RDC pendant le confinement

De prof respectée vers maman en précarité : Survivre en RDC pendant le confinement

30 Novembre 2020
par Prof. Dr. Aline ZIHALIRWA

 

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Aline ZIHALIRWA

 

 

 

‘Madame la professeure’, autant de fois qu’elle l’entend par jour… Elle enseigne à l’ISDR et à l’UEA-Bukavu. Elle coordonne des projets de recherche. Elle fait le coaching de centaines d’étudiants. Et puis, tout d’un coup, ces activités s’arrêtes. Confinée chez elle, elle se rend compte que son métier ne la protège pas contre la précarité économique. Dans un contexte incertain, pendant que des gens autour d’elle tombent malade, elle se voit obligé à développer des stratégies de survie pour elle, et pour ses enfants. Ceci l’amène à des réflexions profondes sur son métier…

 

Après avoir passé quatre bonnes – mais aussi longues - années au Cameroun pour la formation doctorale ; j’ai été animée par un esprit patriotique de revenir en R.D.Congo, mon pays, afin de contribuer à l’éducation de la jeunesse dans la gestion des conflits et le respect du genre à travers la recherche et l’enseignement. Une jeunesse segmentée par les conflits, mais dans laquelle on espère. Elle a tellement besoin des hommes et des femmes, qui cultivent en elle non seulement la culture de la paix mais aussi le respect du genre en vue d’espérer le futur du Congo. C’est cette vision qui m’a motivé à retourner au pays après avoir obtenu mon doctorat en Paix et développement à l’Université Protestante d’Afrique Centrale au Cameroun en avril 2017.

Cependant, cette ambiance de me retrouver devant les étudiants c’est interrompu brusquement. En novembre 2019, la maladie COVID-19 est apparue. Ensuite elle s’est très vite répandue partout au monde. En mars 2020, la maladie a atteint la RDC et un état d’urgence a été déclaré sur toute l’étendue de la République avec fermeture de toutes les frontières. Les activités ont commencé à tourner au ralentie. Les établissements scolaires ont vu leurs portes fermées et cela a produit plusieurs conséquences. La pandémie nous a touché dans plein de dimensions de la vie : social, économique, politique et psychologique. Et dans la vie personnelle.

Sur le plan psychologique, tout d’abord, je me suis sentie déstabilisée. A chaque fois il y avait un ami, un proche de famille ou un voisin qui tombait malade et qui décédait même, je me posais la question si demain ça ne serait pas mon tour. La peur m’avait tellement envahie quand je voyais les gens qui mouraient autour de moi.

Mais ensuite, semaine après semaine d’inactivité et de manque de salaire, je voyais mes moyens s’épuiser. Je commençais à me poser la question de quoi on allait devoir vivre si cette situation allait perdurer. Et quel serait le sort de mes enfants et de moi-même si on tombait malade sans moyen de nous faire soigner ? Etant mère de famille et responsable, j’étais dans l’impossibilité de subvenir aux besoins de ma famille et mes enfants. L’indépendance financière dont je bénéficiai depuis quelques années - partant de mon travail de chercheuse et enseignante - avait créé en moi une sorte de confiance personnelle et me permettait de subvenir à mes besoins et ceux de mes enfants sans faire recourt à une main extérieure. Cette indépendance m’a permis de réaliser des petits projets au niveau de mon foyer et même de ma famille en appuyant certains jeunes étudiants qui manquaient les moyens pour payer les frais académiques ou pour produire leurs travaux de fin de cycle. Mais tout ceci s’est arrêté suite à l’apparition de la COVID 19 qui m’a plongé dans une crise financière extrême.

Tout d’un coup, je me rendais compte face à cette pandémie que ces grands principes de femme émancipée et indépendante tombaient en panne. Je plongeais dans une dépendance financière totale vis-à-vis de mon partenaire que je n’avais pas du vivre avant. La prise en charge de mes enfants ainsi que de moi-même a été tellement difficile et de fois je commençais à me culpabiliser par rapport à mon rôle de parent. Je me demandais si cette indépendance qui s’était envolée allait revenir et me retrouver encore dans ma peau d’une femme épanouie, responsable et indépendante ?

A côté de ce ‘gifle’ à mon égo de femme émancipée, je commençais aussi à me poser des questions profondes par rapport à mes choix de métier. Autant que le statut de professeur est estimé dans le contexte de la RDC, et autant qu’il me plait d’enseigner la génération future ; lors de la pandémie, je me suis rendue compte que ce statut ne me protégeait aucunement de la précarité économique.

Mon expérience personnelle m’a amené à une réflexion plus profonde sur l’organisation du métier académique en RDC. En effet, bénéficier d’un salaire fixe en RDC demande des connexions et du lobbying au niveau politique. Processus dans lequel les profs femmes ne sont pas avantagés. Et si on n’a pas cette chance d’être nommé, on fait partie de ce groupe de jeunes professeurs qui doivent 'bricoler' leurs salaires à travers des courses, consultances et projets. En temps normal, la RDC est un cadre de travail et de recherche intéressant qui attire les organisations internationales, les ONG, les Universités occidentales. Ces dynamiques amènent aux jeunes profs des opportunités qui leur permettent de s’engager dans la recherche, et de s’assurer d’un salaire. Cependant, le manque d’une dynamique de recherche autonome nous pousse dans le rôle de ‘contractant de recherche’, et nous oblige de faire des compromis pragmatiques qui se concordent avec les agendas des bailleurs. Et pendant ce moment de crise, on notait tout d’un coup comment ces partenaires-bailleurs – en mettant leurs engagements en pause – ne se rendent pas du tout compte des conséquences pour leurs partenaires qui tombent alors en précarité économique.

Être devant les jeunes et les femmes en train d’enseigner ou voyager par ci par là pour des recherches de terrain, des séminaires, des conférences ne suffit pas du tout pour une indépendance financière durable et sans interruption. La période de confinement a été pour moi non seulement une période de crise mais aussi une grande école où j’ai appris que le métier d’enseignant n’offre pas de stabilité financière, surtout dans un contexte incertain comme celui de la RDC.

Prof. Dr. Aline ZIHALIRWA est chercheuse et enseignante permanente à la faculté des sciences sociales de l’Université Evangélique en Afrique (UEA)/BUKAVU et à l’Institut Supérieur de Développement Rural (ISDR/BUKAVU).

Elle fait parti de "La Grenelle des femmes chercheuses", un cadre pluridisciplinaire qui réunit les chercheuses de Bukavu à travers deux centres de recherche (le GEC SH et Angaza Institute); celles de la région des Grands-Lacs d’Afrique; de l’Europe; et d’autres continents. "La Grenelle" oeuvre aux échanges sur le métier de la chercheuse, un métier perçu comme « domaine réservé » aux hommes surtout dans les zones des conflits et post-conflits. Pourtant, au-delà des  obstacles dont elle fait face, d’un sexisme irréductible, la chercheuse jouit des plusieurs avantages dont par exemple, l’accès facile à des personnes vulnérables et à des discours cachés.

Dans le cadre des vécus des chercheuses pendant le confinement dû à la crise du corona virus, la Grenelle des femmes chercheuses, lance une série des publications des blogs nommée « Grenelle Corona vagues ». Les réflexions  et idées portées dans ces blogs parlent des expériences locales, des rôles et places, des charges psychologiques des chercheuses pendant  ce temps de crise.

 

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