Entre passion et précarité : Le métier du chercheur en RD Congo

Entre passion et précarité : Le métier du chercheur en RD Congo

18 Novembre, 2019
par Alice Mugoli Nalunva
0731f381-7910-4cec-95ad-7a1085042279

Alice Mugoli Nalunva 

Chercheur en sciences sociales est un métier passionnant. Il attire des gens qui veulent comprendre des dynamiques sociétales. Ces dynamiques s’avèrent très complexe dans un contexte comme la RDC où le métier de chercheur confronte le passionné avec beaucoup de défis sur son chemin professionnel.

Tout d’abord, le contexte de recherche en RDC est fortement contraigant pour des raisons structurelles. Beaucoup de recherches se font ‘à la demande’, d’un côté par des commanditaires provenant des Organisations Non-Gouvernementales et des organisations internationales (p.e. la MONUSCO), d’autre côté par des institutions scientifiques basées en dehors de la RDC (souvent en Europe). Ces recherches sont alors souvent orientées vers les intérêts des bailleurs et vers leurs activités, avec une perspective souvent de courte durée. Elles laissent peu ou pas de marges de manœuvre à l’assistant de recherche dans la définition des questions de recherche, de la méthodologie et du cadre d'analyse.

 

Mais il y a aussi, au niveau des institutions scientifiques Congolaises, la capacité de recherche qui est paralysée par un manque de budgets pour soutenir une dynamique de recherche autonome. A cela s’ajoute un manque d’infrastructures et des moyens techniques et un accès relativement limité à la littérature scientifique récente. A cause de ces lacunes principalement, la recherche n'est pas toujours très développée au sein des universités. Souvent, on y travaille sur des projets de courte durée, orientés vers le financement qu'on peut attirer. On y implique des jeunes chercheurs sans avoir une vision claire sur l’engagement à long terme ou de promotion. Un jeune chercheur au sein d’un centre de recherche à Bukavu nous a partagé son expérience :

« J’ai été chercheur dans un centre ; j’y ai travaillé depuis 2015. Trois ans après, j’ai pensé que je devais abandonner parce que je n’avais trouvé aucune importance de cette appellation ‘chercheur’. J’avais déjà perdu beaucoup de temps en faisant juste la collecte des données. Mes supérieurs hiérarchiques - et moins encore les chercheurs du nord – ne se souciaient de ma promotion. Actuellement je suis ailleurs, j’ai donc refusé cette appellation que je qualifie d’exploitation. Ils disaient toujours qu’ils n’avaient pas encore trouvé des moyens. Quel jour auront-ils ces moyens ?».

Ces propos traduisent la déception des assistants de chercheurs face à la manière dont ils sont traités. Ils condamnent le silence de personnes tenant les rênes des institutions auxquelles ils sont affiliés.

Par manque de développement de la recherche au niveau local, le chercheur individuel aussi se trouve souvent dans une position vulnérable face aux négociations autour de ses conditions de travail. Deux grands soucis émergent alors. Tout d’abord, les conditions contractuelles sont difficiles à négocier. Le contrat n’est souvent pas bien défini. Beaucoup de chercheurs congolais sont engagés sans connaitre précisément la durée de leur travail. La durée du contrat est quelques fois verbal et lorsqu’elle est écrite, elle ne reflète pas la réalité parce que souvent il est rompu sans préavis. La sécurité physique et mentale des chercheurs n’est souvent pas garantie. Ils font le terrain mais les risques auxquels ils sont confrontés sont souvent ignorés. En cas de maladies, kidnapping ou accidents, les commanditaires de la recherche déclinent leurs responsabilités. Le contrat a aussi des limites par rapport au mandat des chercheurs.  Ceux-ci sont souvent traités comme des simples collecteurs de données sans avoir de marge de manœuvre dans le reste du processus de recherche. Les relations de pouvoir biaisés font que l’assistant de recherche reste souvent très peu visible dans le processus de recherche. Il est très peu pris en compte au-delà de la phase de collecte de données. Il est très rarement visible sur les publications issues des données qu’il a récoltées. Très souvent, les assistants de recherches n’ont pas la chance de participer au processus de recherche en entier alors qu’ils en ont les capacités ou simplement le mérite.

Et néanmoins, on pourrait s’imaginer un autre monde. Il y a effectivement un manque de moyens au niveau des instances académiques congolaises. Cependant, il faut aussi penser à sortir d’une attitude d’attentisme par rapport au nord et de développer la recherche au niveau local par des moyens propres. Pour permettre aux chercheurs congolais de sortir de l’ombre et pleinement participer dans la construction des savoirs sur leur pays (et au-delà), il y a un besoin de renforcer une recherche autonome en RDC, ancrée dans le monde académique avec des collaborations au niveau international. On peut aussi penser des collaborations avec le monde des ONGs mais alors il faut réfléchir sur la manière de trouver une certaine autonomie dans la définition et la conduite des projets. Ceci dépend de ressources, mais aussi et surtout d'une vision de la part des responsables au niveau des états et des institutions universitaires du sud.

 

 

Alice Mugoli Nalunva est assistante de recherche au Groupe d’Etudes sur le Conflit et la Sécurité Humanitaire (GEC-SH).

Leave your comment