‘Patientez, on est en train d’y réfléchir’. A quand la restitution de vos recherches ?

‘Patientez, on est en train d’y réfléchir’. A quand la restitution de vos recherches ?

Juin 3, 2019
Christian Chiza Kashurha
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L'auteur, Christian Chiza Kashurha

 

 

De plus en plus, les recherches menées par les chercheurs du Nord dans les pays du Sud, comme la République Démocratique du Congo, sont effectuées par ou en interaction avec des chercheurs du Sud, travaillant dans leur propre contexte. Cependant, dans la conception des projets, la  redevabilité  du chercheur vis-à-vis de son milieu de recherche est souvent peu prise en compte. Et quand c’est le cas, elle se limite souvent à une restitution superficielle. Le manque de restitution en soi est un problème éthique. Mais au-delà, il met en péril la crédibilité et la sécurité de l’assistant de recherche local par rapport à sa communauté.

 

De plus en plus, les recherches menées par les chercheurs du Nord dans les pays du Sud, comme la République Démocratique du Congo, sont effectuées par ou en interaction avec des chercheurs du Sud, travaillant dans leur propre contexte. Cependant, dans la conception des projets, la  redevabilité  du chercheur vis-à-vis de son milieu de recherche est souvent peu prise en compte. Et quand c’est le cas, elle se limite souvent à une restitution superficielle. Le manque de restitution en soi est un problème éthique. Mais au-delà, il met en péril la crédibilité et la sécurité de l’assistant de recherche local par rapport à sa communauté.

A quoi sert la recherche scientifique ? La réponse – souvent donnée de manière automatique – est celle-ci : la recherche sert à la production de la connaissance scientifique. Cependant, on se pose très peu la question de savoir à qui cette connaissance scientifique est adressée, et pour qui elle devrait être accessible. Que les recherches soient académiques ou du type ONG, le constat est le même. Dans beaucoup de cas, l’accessibilité de cette connaissance pour les populations qui ont participé dans les recherches est très limitée. Dans le monde académique, les textes scientifiques sont souvent très spécialisés, et dans beaucoup de cas seulement accessibles quand on paie. Dans le monde des ONG, la génération des connaissances sert souvent un objectif pragmatique en lien uniquement avec les objectifs et les activités de l’ONG.

Au cours des dernières années, j’ai été consultant-chercheur pour une ONG internationale. Souvent, mes collègues et moi étions mobilisés pour récolter des données sur le terrain dans lequel cette ONG était active. Souvent, nos ‘populations cibles’ étaient enthousiasmés de nous voir mener cette recherche. Malheureusement, après avoir obtenu les données, nous disparaissions comme si nous n’avions jamais connu le milieu. Un jour, je passais dans ce milieu. Et pouf, j’ai croisé deux de nos répondants. Après les salutations, leurs mots étaient clairs : « Manake mulikuyaka tu tupondeya muda na kukamata maoni yetu kisha muka poteya ! Ju mpaka sahii hatuya onaka mutu ana kuya tuambiya bili ishiaka wapi. » (« ça veut dire que vous étiez juste venus perdre notre temps en récoltant nos avis et c’est tout ; et ensuite vous avez disparus ! Parce que depuis lors on n’a jamais vu personne revenir pour nous dire quelle allait être la suite ou les résultats de ce que vous faisiez »). L’un d’eux était très clair : « Si mulishaka kula zenu, basi muna weza tu kumbuka siye benye tulitumaka muna pata hizo makuta » (« Vous étiez venus faire la recherche et vous étiez payé. Qu’est-ce que nous autres représentons à vos yeux du moment où vous aviez eu votre argent ? »).

Les mêmes soucis se présentent dans les recherches académiques. Depuis presque deux ans, je suis impliqué dans une recherche académique sur le foncier pour le compte d’une Université du Nord. La recherche consiste à comprendre comment les revenus des ménages contribuent à la sécurisation des parcelles dans le milieu urbain et péri-urbain de Bukavu. Beaucoup de mes interlocuteurs m’ont signalé le vœu d’assister à une restitution des résultats. Malheureusement, le coordinateur du projet m’a signalé que cet aspect n’était pas prévu dans le projet et qu’il fallait réfléchir sur un budget additionnel. Cette requête est restée lettre morte.

Des temps à temps, je reçois des appels de ces personnes qui m’ont un jour accordé leur confiance et leur temps pour participer dans l’une ou l’autre recherche, tous me posant la même question : « à quand la restitution de vos recherches ? » Par manque de réponse, je leur réponds, la mort dans l’âme : « patientez, on est en train d’y réfléchir ». Alors qu’au fond de mon cœur je sais que ça n’arrivera jamais. Et ça pèse…

Parfois – entre chercheurs - on brise l’omerta sur cette question. Un soir, une collègue nous racontait comment la confrontation en rapport avec cette question avec le chef du village –sur l’île d’Idjwi – l’avait paralysée. Il lui avait demandé : « Où vont toutes les données que vous venez récolter ici ? Parce que d’autres comme vous sont passés, ont récolté les données et ne sont jamais rentrés. … Qu’en est-il des résultats de vos recherches ? En le sachant, ça peut nous aider, nous comme entité territoriale de base, de pouvoir sensibiliser nos concitoyens sur telle ou telle question qui touche la vie de notre entité ». Ma collègue, avait répondu, toute gênée et en toute honnêteté, que ce n’était pas à elle de prendre une telle décision. Sa marge de manœuvre se limitait simplement à la collection des données.

Le soir, quand elle nous avait partagé son expérience, certains d’entre nous avaient ri. D’autres, quoiqu’inconsciemment, s’étaient moqués d’elle comme quoi elle n’avait pas su donner une bonne réponse. Cependant, après avoir partagé d’autres expériences similaires, nous n’avons plus rigolé. Nous nous sommes rendu compte que le déséquilibre de pouvoir dans lequel le chercheur local se trouve le limite souvent très fortement : il n’a pas de marges de manœuvres par rapport à la restitution des résultats de la recherche. Mais il ou elle doit néanmoins gérer, seul, les conséquences. C’est lui qui retourne sur le terrain après ou qui reste dans le milieu où la recherche a eu lieu ; c’est lui qui est perçu comme représentant des équipes des chercheurs. Cette exclusion peut aller jusqu’à affecter son intégrité morale ; à se faire interpeller chaque fois. Il doit vivre avec un sentiment de culpabilité, un goût d’inachevé, de n’avoir pas été à la hauteur des attentes de sa communauté. Ça devient un fardeau lourd à supporter. Et la communauté risque de perdre confiance, ce qui rendrait difficile son accès au terrain pour une prochaine recherche.

 

Christian Chiza Kashurha et assistant d’enseignement au Département d’Histoire de l’ISP-Idjwi et chercheur au GEC-SH, Bukavu, DR

 

1 reply added

  1. C’est franchement intéressant de voir finalement les gens mettre des mots à ce que nous ressentons d’habitude, comme chercheurs locaux. Et le fait que nos connaissances ne sont en général pas produites pour nos populations locales. Or, je crois que seule la connaissance élevera notre nation, et l’Afrique. Courage !

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